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Site de l’Association Amicale Santé Navale et d’Outre Mer (ASNOM)

RECONNAITRE, EN 2024, L’ŒUVRE DU CORPS DE SANTE FRANÇAIS
Article mis en ligne le 17 avril 2024
dernière modification le 13 mai 2024

« En » 1900, l’Empire colonial français couvrait un territoire de douze millions de kilomètres carré, réparti sur les cinq continents, à dominante africaine et indochinoise, regroupant une population de trente millions d’habitants.

Devant l’échec des tentatives de recrutement de médecins civils peu attirés par ces contrées lointaines, peu sûres, considérées quelquefois comme le « tombeau de l’homme blanc », l’action sanitaire fut confiée aux médecins, pharmaciens, infirmiers issus des corps de santé militaire. Dès 1890, fut créé le Corps de santé des colonies et des pays du protectorat. Ces personnels étaient tous et demeuraient, au sein de ce corps, militaires.

La tâche était immense. L’insuffisance de personnels, de crédits, l’étendue des territoires, la dispersion des habitats, l’isolement, le climat, la méfiance voire l’hostilité des populations devant une médecine venue d’ailleurs, rendent compte partiellement des difficultés rencontrées. Les endémies tropicales, notamment les fièvres, qui décimaient les troupes coloniales mais aussi les populations autochtones dont on ignorait la nature, les agents pathogènes et les vecteurs, furent rapidement au-devant de leurs préoccupations.

Plus de soixante ans ont passé depuis les indépendances, épaisseur de temps suffisante à l’historien pour approcher le bilan de la colonisation. Il est en effet salutaire pour une nation, un état, un peuple, de regarder en face son passé, son histoire, sans idée préconçue, avec la plus grande objectivité possible, n’écartant aucun élément aussi cruel soit-il. La persistance de dénis, de refoulés, d’impensés ne peut être que source de symptômes préjudiciables et durables, ceci pour le colonisateur comme pour le colonisé, ce dernier pouvant céder à la facilité de voir, dans le premier, un bouc émissaire facile lui permettant de s’exonérer de toute responsabilité dans les inévitables difficultés actuelles.

Il ne nous appartient pas ici de faire le bilan global de la colonisation, mais de présenter l’œuvre sanitaire d’un groupe d’hommes pendant une période courte, au profit de populations civiles, avec ses succès, ses imperfections, ses travers et ses embûches. Ces hommes étaient motivés, formés, passionnés, anonymes, quelquefois taxés d’excentricité. Certains y sont morts, d’autres y ont laissé une femme ou un enfant.

Cours de médecine à Dakar

Le médecin de brousse, le médecin responsable d’une unité mobile de lutte contre les grandes endémies sont les figures emblématiques de cette époque. Partir trois ans ou plus, seul ou en famille, dans ces contrées isolées, sans moyen de communication, aux climats chauds et souvent humides, pour un mode d’exercice nécessitant polyvalence et totale disponibilité, serait peu attractif aujourd’hui. Pourtant, nombreux puiseront dans ces séjours les souvenirs les plus riches et féconds de leur existence.

Présenter une version actualisée de ce travail de mémoire peut apparaitre en 2024 comme une gageure.
• Nous vivons en effet une époque où l’image prédomine sur l’écrit, l’émotion, la compassion et la réaction immédiate prévalent sur la réflexion et le recul, où l’histoire est méconnue, voire méprisée, tronquée ou instrumentalisée.
• La multiplicité, la facilité d’accès aux sources d’informations le plus souvent anonymes et non responsables, quelquefois volontairement faussées pour des raisons idéologiques ou politiques ne nous facilitent pas la tâche.
• L’enseignement du fait colonial, à l’instar du fait religieux, se complique lorsqu’il s’adresse à des élèves de communautés variées, multiculturelles, multiconfessionnelles.
• Il nous faut fuir le manichéisme allant du « panégyrique sans nuances » des laudateurs du « temps béni des colonies » au rejet, imprégné de moralisme, niant radicalement tout aspect positif à cette période. Toute question clivante est rapidement embrouillée par des partis pris passionnels, même émoussés par l’épaisseur du temps et manipulés par des clichés simplistes. Il est un passé qui passe mal. Ici, comme ailleurs, tout excès, toute outrance est insignifiante par nature.
• Oui, le char de l’histoire ne fait jamais marche arrière et il est une question, un débat bien inutile : fallait-il que la France, à l’image d’autres nations européennes, se dote d’un empire colonial ? Cela fut et rien ne pourra faire que cela ne fut point. Si la connaissance du passé est nécessaire pour agir au présent et préparer l’avenir, sachons en tirer les leçons.
• Oui, l’histoire est tragique et il y eut notamment lors des épisodes de conquête, meurtres, massacres, humiliations, déculturations, dépossessions des sols, travail forcé, code de l’indigénat, inégalités flagrantes. Qui le nierait ?
• Oui, la colonisation eut des effets positifs, notamment en matière d’éducation inégalement répartie, mais aussi de santé, et c’est ce que nous voulons développer ici. Le tragique ci-dessus rappelé doit-il occulter ces derniers ?
• Non, la médecine coloniale n’avait pas pour vocation exclusive de fournir une main d’œuvre en bonne santé et à bon marché, ni de la chair à canon. Le bilan réalisé ci-après devrait suffire à convaincre les contempteurs les plus rebelles de cette époque.

Dans toute évaluation a posteriori, un biais cognitif apparait d’emblée : considérer une période incluse dans une histoire et une géographie donnée avec les yeux et les critères d’aujourd’hui, d’ici et maintenant, sans tenir compte du passage du temps et de l’inévitable évolution des idées, encore accélérée de nos jours. La notion de mission civilisatrice « doit être contextualisée » : Victor Hugo, Jules Ferry, Jean Jaurès, malgré leurs prises de position, restent et resteront des humanistes.

Associer le terme d’action humanitaire, de soins, de santé, de médecine, avec ceux de colonial, d’empire, peut paraitre pour certains antinomique, voire oxymorique, ces derniers pouvant apparaitre douteux, quelquefois sulfureux. Il s’agissait pourtant pour la médecine coloniale de caractériser une époque, une géographie, un mode d’exercice particulier prenant principalement en charge une pathologie spécifique dite tropicale, intimement liée à l’histoire propre du Service de santé des Armées et ayant permis des innovations et des découvertes scientifiques reconnues partout.

La visite médicale à Nola au Congo français

Le Doyen de la Faculté de Médecine de Dakar, Maurice Payet, parla en 1979, d’une œuvre désintéressée, ignorée, peu glorifiée, peu récompensée. Les témoignages écrits ou oraux prennent d’autant plus de valeur que les témoins directs sont de plus en plus rares. Humilité et discrétion caractérisaient l’action de ces médecins militaires, fidèles à l’esprit de la « Grande Muette ». Une seule façon de faire le bien « en silence », sans tapage : le bien ne fait pas de bruit. L’indifférence des populations métropolitaines, happées par des préoccupations plus domestiques qu’exotiques, une géopolitique plus centrée sur l’Europe et les relations franco-allemandes que sur l’histoire majorent encore les difficultés.

Après les indépendances, à la demande des états nouvellement formés, la mission se poursuivit. Ainsi, en 1982, on comptait encore 700 médecins et pharmaciens militaires en poste outre-mer, en position le plus souvent « hors cadre », rattachés au Ministère de la Coopération, autant qu’en 1939. En 2000, il en restait moins d’une centaine, remplacés par des médecins nationaux formés progressivement sur place.

L’objectif de « santé pour tous en l’an 2000 » ne fut pas atteint. Ces états doivent maintenant faire face à des problèmes sociaux, sociétaux, économiques, nés en partie d’une instabilité politique et géopolitique avec intervention de nouveaux acteurs. La démographie est galopante, l’urbanisation anarchique et non contrôlée. Les pathologies nouvelles comme le sida n’ont bien sûr pas épargné ces territoires et on a pu voir réémerger des endémies anciennes en rapport avec l’insuffisance de moyens, le relâchement des motivations et une moindre efficacité des équipes mobiles.

Nous voulions conclure ces quelques réflexions en affirmant que seules l’homogénéité et la continuité étalées sur plus de huit décennies ont permis l’efficacité d’action des praticiens du Service de santé des Armées. Une origine et une formation communes, une vocation et une appétence partagées créèrent un véritable « esprit de corps » qui a permis une action unitaire, efficace, coordonnée, indispensable pour cette médecine de santé publique. Selon les écrits de Lapeyssonnie, ce fut le résultat d’une rencontre heureuse d’une époque et d’une équipe. « Qui a fait mieux, où, quand et comment ? », s’exclamait le Doyen Payet.