LES NATURALISTES DU SERVICE DE SANTÉ DE LA MARINE AU XIX SIECLE
Les grandes expéditions maritimes de la première moitié du XIXe siècle, encore imprégnées du souffle des Lumières, s’intéressaient aussi aux sciences naturelles et à l’ethnographie. A la fin du XVIII°, certaines expéditions avaient été très fructueuses : voyage de Lapérouse, expédition d’Egypte, mais à partir de 1815, la marine renonce à embarquer des scientifiques civils lors des grands voyages de découverte. Les expériences au siècle précédent, en particulier à l’occasion des voyages de Bougainville et d’Entrecasteaux, n’avaient pas toujours été très heureuses. Le caractère indépendant des uns, le manque de souplesse des autres, avait été à la source d’incidents que la marine n’avait pas l’intention de voir se renouveler. On décide alors, à l’époque de la Restauration, de désigner les naturalistes parmi les officiers de santé de la marine, médecins ou pharmaciens, plus habitués aux longues navigations et à la cohabitation dans des locaux exigus mais aussi à l’environnement militaire.
Choisis par l’inspecteur général du Service de santé de la marine en fonction de leur goût et de leur compétence pour les sciences naturelles, ces naturalistes venaient à Paris avant leur départ recueillir les instructions des professeurs du Muséum et des membres de l’Académie des sciences, voire de la Société de médecine.
De son côté, dès 1824, le ministère de la marine avait publié des instructions précises sur la manière d’effectuer les collectes d’objets d’histoire naturelle et de les conserver à bord avant de les envoyer au Muséum. Il fallait en effet, non seulement savoir observer, mais encore choisir avec discernement les échantillons des trois règnes (zoologique, botanique et minéralogique), les recueillir, les identifier, les classer, les étiqueter, rédiger les notices correspondantes, les conserver et faire en sorte qu’ils parviennent en bon état au Muséum.
Par ailleurs les naturalistes réalisaient de nombreux croquis ou dessins. C’est ainsi que Lesson reproduisit plus de 70 poissons avec leurs couleurs naturelles mais aussi des mollusques et des zoophytes peints selon le vivant et que Quoy rapporta du voyage de l’Astrolabe 6 000 dessins et autant de copies. Au retour, des rapports sur les collectes étaient établis par des commissions et présentés à l’Académie des sciences par des membres aussi éminents qu’Arago, Cuvier, Cordier, Blainville, Mirbel ou Beaumont. Quelques uns méritent une mention particulière.
Sur les corvettes Uranie et Physicienne (1817-1820), commandées par Louis-Claude de Freycinet, se trouvent :
– Charles Gaudichaud-Beaupre (1789-1854), pharmacien et botaniste, qui embarquera ensuite sur la corvette Bonite. Il rapporta de tous ses voyages plus de 10 000 plantes dont 1 200 à 1 400 espèces nouvelles. Il s’avéra l’un des grands découvreurs scientifiques du siècle et s’imposa comme un éminent spécialiste de la systématique botanique.
– Jean-René-Constant Quoy (1790-1869), ensuite embarqué en 1826 sur la corvette Astrolabe pour un second voyage de circumnavigation, sera inspecteur général du Service de santé de la marine en novembre 1848, qu’il modernisa. Ce grand savant a largement contribué à enrichir les connaissances en sciences naturelles.
– Joseph-Paul Gaimard (1793-1858) fut l’un des voyageurs naturalistes les plus actifs de la première moitié du XIXe siècle. Après deux voyages de circumnavigation avec Quoy, sur l’Uranie puis sur l’Astrolabe, il fut nommé en 1835 Président de la Commission scientifique des expéditions des mers polaires et à ce titre il effectua quatre campagnes dans l’Atlantique Nord sur la corvette Recherche, entre 1835 et 1839.
Sur la corvette Coquille (1822-1825), commandée par L.-I. Duperrey, sont embarqués : le pharmacien naturaliste René-Primevère Lesson (1794-1849), auteur d’une oeuvre considérable comprenant 44 volumes ainsi qu’un grand nombre d’articles et de mémoires. Il a surtout laissé un travail de valeur en zoologie et plus particulièrement en ornithologie sans toutefois négliger l’étude des mammifères mais il publia aussi sur ses voyages, la médecine, l’anthropologie, la préhistoire, l’histoire et l’archéologie de la Charente-Inférieure. Savant reconnu et apprécié, il joua un rôle déterminant pour le développement des sciences naturelles et favorisa l’essor de la systématique. Y est également embarqué, le chirurgien Prosper Garnot (1794-1838) qui institua à la Martinique en 1829 un cours d’anatomie et de chirurgie.
Sur la corvette Astrolabe (1826-1829), commandée par J.-S.-C. Dumont d’Urville, on retrouve les chirurgiens Gaimard et Quoy accompagnés d’un autre chirurgien Pierre-Adolphe Lesson (1805-1888), le frère de René-Primevère. Pierre-Adolphe, affecté en juin 1844 à Tahiti comme chef du Service de santé, participa activement à plusieurs ouvrages et produisit de nombreux articles dans diverses revues. Il était membre de la Société d’anthropologie.
Sur la corvette Bonite (1836-1837), commandée par A.-N. Vaillant, se trouvent, outre le pharmacien Gaudichaud pour son second voyage de circumnavigation, les chirurgiens Fortuné Eydoux (1802-1841) et Louis Souleyet (1811-1852). Dans l’ouvrage collectif relatant la campagne, Eydoux et Souleyet rédigèrent les trois volumes de zoologie, Gaudichaud les quatre volumes de botanique.
Sur les corvettes Astrolabe et Zélée lors de l’expédition de J.-S.-C. Dumont d’Urville au Pôle Sud (1837-1840), les naturalistes étaient Jacques-Bernard Hombron (1798-1862) et Louis Le Breton (1818-1866) pour l’Astrolabe, Elie-Jean-François Le Guillou (1806-) et Honoré Jacquinot (1814-1853) pour la Zélée. La moisson réalisée fut la plus riche jamais rapportée en une seule expédition. En particulier Le Guillou réunit une exceptionnelle collecte minéralogique de 3 000 échantillons de roches, parfois associées à des fossiles, qui permirent de préciser la nature et la datation des terres polaires australes. De son côté Jacquinot assista Hombron pour la relation de la partie zoologique du voyage, parue en 1846.
Plusieurs de ces naturalistes furent honorés par les principales Institutions. Ainsi l’Académie des sciences admit comme membres correspondants Gaudichaud (1827), Quoy (1830) et R.-P. Lesson (1833). Gaudichaud en sera membre titulaire en 1837. L’Académie de médecine admit en son sein comme membres correspondants Gaudichaud-Beaupré, Quoy, Gaimard et R.-P. Lesson (tous les quatre en 1825). La même distinction sera décernée à Garnot en 1834. C’était la reconnaissance du monde scientifique envers ces savants pour tout ce qu’ils avaient apporté à la Science au cours de ces expéditions en ce siècle de découverte.