En décembre 1890, M. Etienne, sous-secrétaire d’État aux colonies, écrit à Pasteur pour lui demander de créer à Saigon un centre de vaccination contre la variole et la rage. A cette même époque, un médecin de 1ère classe des colonies, Albert Calmette*, suit dans l’institut le cours de microbiologie d’Émile Roux. Pasteur le fait appeler et lui propose le poste que Calmette accepte aussitôt. De cette entrevue historique datent les premiers liens entre l’institut Pasteur et le Corps de santé colonial.
Ces intrépides pionniers ne tardent pas à faire d’importantes découvertes. Ils ouvrent la voie à une phalange de bâtisseurs. A travers le monde, ces pasteuriens coloniaux parmi lesquels se distingue Yersin* multiplient des établissements, filiales de l’institut Pasteur de Paris. Leurs travaux, soucieux plus de recherche appliquée que de recherche spéculative répondent bien au double message de Pasteur et du Corps de santé colonial : "être toujours au contact et au service des hommes, en particulier des plus démunis et des plus exposés". L’évolution de ces instituts dans les nouveaux États indépendants s’est faite en parfait accord avec la "maison-mère".
Dans le bilan, on retiendra notamment un rôle éminent dans la découverte de sérums antivenimeux et de vaccins encore actuellement utilisés contre la tuberculose, la peste et la fièvre jaune.
LES PIONNIERS
A peine arrivé à Saigon, Albert Calmette* installe son laboratoire dans une dépendance de l’hôpital militaire. C’est l’ébauche de l’institut Pasteur de Saigon qui voit le jour en 1896.
En 1895, lancé dans l’exploration de l’arrière-pays indochinois, un des premiers élèves de Pasteur, Alexandre Yersin*, qui a découvert à Hong Kong, l’année précédente, le microbe de la peste, fonde à Nha-Trang un institut Pasteur.
En 1896, A. Marchoux* reçoit la mission d’appliquer les méthodes pasteuriennes à l’étude des maladies microbiennes et parasitaires d’Afrique noire. Il installe, dans les locaux de l’hôpital militaire de Saint-Louis du Sénégal, le premier laboratoire africain de microbiologie qui devient, pendant les trois années de son séjour, un centre de recherche renommé. Transféré à Dakar, ce laboratoire joue un rôle primordial dans la lutte contre la fièvre jaune sous le nom d’institut Pasteur de Dakar inauguré le 1er Janvier 1924 par Constant Mathis*.
A leur retour en France, ces pionniers, riches de l’expérience acquise aussi bien dans le domaine de l’organisation que dans celui de la compétence scientifique se voient attribuer des responsabilités à l’institut Pasteur de Paris. Ils forment avec les quelques rares spécialistes métropolitains le premier noyau de la "Société de pathologie exotique", fondée par A. Laveran en 1908, lieu de rencontre, de réflexion et d’échanges à travers la publication périodique d’un bulletin.
Depuis 1903, chaque année, des médecins du Corps de santé colonial viennent à l’institut Pasteur de Paris pour y suivre le cours de microbiologie et se perfectionner en pathologie tropicale. Dès la création en 1905 de l’École d’Application du Service de Santé Colonial, les enseignements de microbiologie occupent une place importante dans le programme de formation des médecins et pharmaciens coloniaux. Ces enseignements sont habituellement confiés à des pasteuriens militaires.
LES BÂTISSEURS
Pasteur lui-même avait exprimé le voeu de faire bénéficier de ses découvertes les populations les plus démunies et les plus exposées aux maladies infectieuses et parasitaires. Emile Roux et ses successeurs à la direction de l’institut Pasteur apportent à la réalisation de ce voeu une attention particulière. A cet égard, N. Bernard* et H. Marneffe*, en tant que sous-directeurs de l’institut, ont joué un rôle primordial de même que M. Vaucel* après la création d’une direction générale des instituts Pasteur hors métropole.
C’est à des médecins des troupes coloniales ainsi formés à l’école pasteurienne que sont confiées la création et l’animation de la plupart des centres de vaccination et des laboratoires de microbiologie dont plusieurs, à l’instar de ceux de Saigon et de Dakar, sont devenus par la suite des instituts Pasteur.
Un autre aspect des activités de ces laboratoires tropicaux de l’institut Pasteur a été la formation scientifique et technique de collaborateurs autochtones et aussi la participation à l’enseignement supérieur dans les facultés de médecine et de pharmacie.
L’activité des médecins et pharmaciens coloniaux pasteuriens s’est surtout orientée vers la recherche appliquée, expression fidèle de la doctrine de Pasteur et il n’est de chapitre de la médecine tropicale, ni de mesure de santé publique où les instituts Pasteur et les laboratoires de microbiologie et de chimie dirigés par eux n’aient apporté leur contribution.
L’empreinte culturelle de la France dans ses colonies représente les efforts de plusieurs générations, les instituts Pasteur y ont pris une part privilégiée et le Corps de santé colonial qui en a créé et animé le plus grand nombre peut s’honorer de la place qu’il a occupé dans ce domaine.
Albert CALMETTE
Alors qu’Albert Calmette*, en 1880, commençait ses études à l’école de médecine navale de Brest, prévalait encore l’origine tellurique de maladies telles que le paludisme et la fièvre jaune qu’il eut à affronter, impuissant et déçu, quelques années plus tard, au cours d’une lointaine campagne au Gabon, à bord du navire-hôpital Alceste. Dix ans plus tard, à Saigon, en 1890, il montre à ses camarades médecins stupéfaits avec quelle facilité on peut trouver l’hématozoaire de Laveran dans le sang des paludéens.
Il améliore progressivement l’équipement de son laboratoire au point de réussir, en deux ans et demi de séjour, à préparer des quantités suffisantes de vaccins contre la variole et contre la rage pour toute l’Indochine et même les pays voisins.
Il parvient à isoler les levures permettant la préparation industrielle de l’alcool de riz. Enfin, débutent ses recherches qui devaient aboutir à la découverte de la sérothérapie antivenimeuse mise au point à l’institut Pasteur de Lille qu’il dirigea après son retour de Saigon.
C’est encore à Lille que le médecin général Calmette*, cultive, avec la collaboration de Guérin, un bacille tuberculeux bovin traité par la bile. Il porte leur nom, bacille de Calmette et Guérin plus connu par ses initiales BCG. Ce bacille a la propriété de protéger l’homme contre les tuberculoses graves. Universellement utilisé encore actuellement, le vaccin antituberculeux venait d’être découvert.
Alexandre YERSIN
Sa découverte à Hong-Kong du bacille de la peste est le début d’une aventure mémorable poursuivie en Indochine.
Yersin* fonde à Nha-Trang un laboratoire en même temps qu’une station d’élevage pour l’étude des maladies animales et la préparation d’un sérum antipesteux, ensuite une station agricole où il réussit à acclimater l’arbre à caoutchouc qui a assuré la fortune de l’Indochine.
Le commandant Lyautey qui le rencontre à cette époque écrit en 1896 : "Ce jeune médecin du Corps de santé colonial s’est installé à Nha-Trang dont le laboratoire pasteurien va bientôt devenir historique... Ce sont des heures de réconfort qu’on passe dans cet établissement encore rudimentaire avec ce jeune savant, sans besoins personnels, uniquement possédé par son œuvre".
Il est le premier directeur de l’école de médecine indochinoise ouverte à Hanoi, en janvier 1902.
La raréfaction progressive du quinquina, arbre originaire du Pérou et des pays voisins, impose rapidement l’acclimatement de l’arbre dans d’autres régions. Le succès n’est total qu’en Indonésie en 1852 et aux Indes en 1872, mais un véritable monopole s’instaure. La demande de plus en plus forte en quinine, extraite de l’écorce de l’arbre, pour traiter les populations locales et son coût de plus en plus élevé font envisager à Yersin la culture du quinquina, en Indochine.
Yersin, qui y a déjà réussi l’acclimatement de l’hévéa, se lance donc dans celui du quinquina. Après de nombreuses difficultés, il réussit pleinement en 1919 sur la colline de Dran. La teneur en quinine des écorces se révèle suffisante pour poursuivre la culture, amenant une extension rapide des plantations. En 1931, 2 100 tonnes d’écorce de quinquina sont traitées, ce seront 29 600 tonnes en 1939, à la veille de la guerre contre les japonais.
En 1937, la pharmacie d’approvisionnement de Tourane extrait 287 kg de sulfate de quinine, deux années plus tard, l’Indochine devient exportatrice de quinine. En 1943, la production sous la direction de Deniel* et Clemensat* atteint 3 tonnes et le paludisme régresse partout.
Au moment de sa mort en 1943, Yersin peut constater que l’Indochine a les moyens de lutter seule contre le paludisme. Il est inhumé à NHA TRANG où son tombeau est toujours entretenu.
LES ÉTABLISSEMENTS DE L’INSTITUT PASTEUR DE PARIS
De 1890 à 1970, sur les 25 Instituts Pasteur ou laboratoires associés créés sur les cinq continents, 17 l’ont été par des médecins du Corps de santé colonial, 15 dans d’anciennes colonies, et deux autres en Iran et en Chine
Plus d’une centaine de médecins et pharmaciens coloniaux en ont assuré le fonctionnement.
Ci-dessous la liste des Instituts Pasteur créés par des médecins du Corps de santé colonial, la date de leur création et le nom de leur fondateur ou de leur premier directeur :
- 1891- Calmette* - Laboratoire de microbiologie de Saigon, devenu I.P. de Saigon en 1896.
- 1895- Yersin* - Institut Pasteur de Nha-Trang (Vietnam)
- 1896- Marchoux* - Laboratoire de microbiologie de St Louis (Sénégal) devenu I.P. de Dakar en 1924
- 1898- Thiroux* - Laboratoire de microbiologie de Tananarive devenu I.P. de Madagascar en 1927
- 1908- Martin* G. - Institut Pasteur de Brazzaville (Congo)
- 1910- Noc* - Laboratoire de microbiologie de Fort de France devenu I.P. de Martinique en 1938
- 1912- Kerandel* - Laboratoire de microbiologie de Phnom-Penh, devenu I.P. du Cambodge
- 1913- Leboeuf* - Institut G. Bourret à Nouméa devenu I.P. de Nouméa en 1955
- 1914- Leger* M. - Laboratoire de microbiologie de Cayenne devenu I.P. de Guyane en 1940
- 1917- Gauducheau* - Laboratoire de microbiologie d’Hanoï devenu I.P. d’Hanoi en 1925
- 1920- Mesnard* - Institut Pasteur de Téhéran (Iran)
- 1924- Fabre* - Laboratoire de microbiologie de Pointe à Pitre devenu I.P. de Guadeloupe en 1948
- 1936- Souchard* - Institut Pasteur de Dalat (Vietnam)
- 1938- Raynal* - Institut Pasteur de Shangaï (Chine)
- 1959- Gamet* - Institut Pasteur de Yaoundé (Cameroun)
- 1960-Chippaux*A. - Institut Pasteur de Bangui (Rep. Centre Afrique)
- 1970-Chippaux*A - Institut Pasteur de Côte d’Ivoire
LA RECHERCHE APPLIQUÉE
Devant l’ampleur de la tâche accomplie par les médecins et pharmaciens militaires coloniaux, on se bornera ici à la mention de quelques travaux originaux présentant, parmi beaucoup d’autres, un relief particulier.
– La peste. La victoire sur la peste est réalisée en trois étapes par de grandes figures du Corps de santé des troupes coloniales, tous trois pasteuriens : Yersin* isole l’agent microbien, Simond* identifie le vecteur, la puce, Girard* et Robic* mettent au point un vaccin très efficace.
– La maladie du sommeil : en 1905, G. Martin*, élève de Mesnil, rapporte à l’institut Pasteur à Paris des souches vivantes de trypanosomes isolées en Guinée. A la suite d’une seconde mission, au Congo, il est chargé de créer un institut Pasteur à Brazzaville, devenu par la suite un centre de recherche sur la trypanosomiase. Directeur de cet Institut, en 1916, E. Jamot* conçoit une méthode de prophylaxie d’une remarquable efficacité qui, appliquée par le Corps de santé colonial, a pratiquement vaincu cette maladie.
– La mise au point de vaccins résistants à la chaleur ; c’est une qualité essentielle pour en garantir l’innocuité et l’efficacité lors de leur transport et de leur emploi en zone tropicale. L’utilisation de matériels et la pratique de techniques les plus modernes ont fait de l’institut Pasteur de Dakar un centre de production unique en Afrique de vaccin antirabique permettant une décentralisation du traitement préventif de la rage et des vaccins antiamaril et antituberculeux (BCG), conformes aux normes internationales, largement employés dans les États africains pour la protection contre la fièvre jaune et la tuberculose.
L’ÉVOLUTION DES INSTITUTS PASTEUR D’OUTRE-MER
En 1970, Jacques Monod, prix Nobel de médecine, prenant la direction de l’institut Pasteur, déclare : "l’institut Pasteur serait dans l’impossibilité de mener à bien les tâches qui lui sont confiées sans l’appui de ce personnel militaire digne d’éloges par sa valeur et son dévouement". Passant de la parole aux actes, c’est à des médecins du Corps de santé colonial qu’il fait appel pour occuper les postes nouvellement créés de conseiller médical du directeur et de délégué général aux instituts Pasteur d’outre-mer et à la coopération.
Actuellement, les instituts Pasteur d’outre-mer sont devenus le "réseau international des instituts Pasteur et instituts associés", termes exprimant bien à la fois la diversité des statuts de ces établissements et le lien qui les unit. L’ensemble compte 22 instituts et le Service de santé des armées y tient encore une place de choix. Un tiers d’entre eux est dirigé par des médecins militaires.
Pour en savoir plus :
– L Chambon et A. Rivoalen : L’oeuvre des pasteuriens. Médecine et Armée 1973, T1, n°2 p 72-80.
– P. Brès and L. Chambon : The Pasteur Institute Worldwide. Trends in Biochemical Sciences. 1982 Vol 7 n°3, p 83-84.