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LA FIÈVRE JAUNE
Article mis en ligne le 12 janvier 2024
dernière modification le 10 avril 2024

La fièvre jaune est une maladie infectieuse aiguë, se manifestant par de redoutables flambées épidémiques. Ses deux organes-cibles essentiels sont le foie et le rein. Elle est caractérisée par une jaunisse, de la fièvre, des hémorragies (nasale, gingivale et surtout digestive) et une raréfaction ou un arrêt de la production d’urines.

La fièvre jaune est provoquée par le virus amaril . Elle se transmet à l’homme par la piqûre d’un moustique. Il s’agit en fait d’une maladie des singes, hôtes des forêts et de la brousse de l’Afrique et de l’Amérique tropicale, les deux seules régions du globe atteintes.

Il n’existe pas de traitement spécifique de cette maladie. En cas de guérison, une immunité définitive est acquise. La vaccination est très efficace.

Les médecins du Corps de santé colonial, et les médecins de Marine qui les ont précédés, affrontent et subissent de redoutables épidémies de fièvre jaune. Aidés de leurs collaborateurs autochtones, ils interviennent sur le terrain et dans les laboratoires des instituts Pasteur d’outre-mer (celui de Dakar en particulier).

 Hommes de terrain, ils identifient la maladie, la dépistent, la soignent et la préviennent.

 Ils participent à la découverte du rôle du moustique et à l’isolement du virus amaril.

 Dans leurs laboratoires, ils perfectionnent le diagnostic de cette maladie.

 Ils inventent un vaccin antiamaril efficace et en organisent la production.

 Ils surveillent le risque amaril en Afrique noire et en Amérique tropicale.

LES FLAMBÉES ÉPIDÉMIQUES

Monument de Gorée

La fièvre jaune est jusqu’au début du XXème siècle responsable de redoutables flambées, tuant la moitié des sujets atteints, qui l’ont fait classer parmi les maladies dites pestilentielles puis quarantenaires. Des formes légères sont cependant fréquentes, prises pour des "grippes" dont la mortalité tombe à 10 % des cas.

Les Espagnols, les premiers, décrivent la maladie au Yucatán, en 1648, sous le nom de "peste" terme archaïque attribué aux maladies les plus diverses.

Les Français rencontrent le fléau au cours de leurs périples en Amérique tropicale, aux Caraïbes mais aussi en Afrique noire. Notamment, à St Louis, sur l’embouchure du fleuve Sénégal, en 1778, où J.P. Schotte lui donne le nom savant - mais éphémère - de Synochus Atrabiliosa.

Déjà, en 1763, la colonisation de la Guyane française s’était heurtée à la fièvre jaune, dite typhus amaril. Les survivants se réfugièrent au large de Kourou, sur les îles du Diable, appelées depuis îles du Salut.

Trois épidémies ont particulièrement défrayé la chronique au XIX° siècle :

 En 1802, Napoléon envoie son beau-frère, le général E. Leclerc, réprimer la révolte de Toussaint-Louverture à Saint-Domingue. 30 000 hommes l’accompagnent. Il n’en reviendra qu’un petit nombre, survivants d’une épidémie de fièvre jaune qui avait emporté Leclerc lui même.

 En 1878, l’épidémie du Sénégal où, entre autres, périrent 21 médecins et pharmaciens français de marine, un seul de leurs camarades survécut. Deux stèles, l’une à St Louis, l’autre à Gorée (au large de Dakar) sont les témoins de l’hommage rendu à des médecins qui, au sein des populations et au chevet des malades, firent leur devoir au point d’en devenir des victimes.

 En 1889, c’est la fièvre jaune qui fait renoncer au creusement du canal de Panama par les Français.

L’APPORT DES CLINICIENS

Les précurseurs des médecins coloniaux décrivent la maladie et l’identifient dans le dédale des fièvres tropicales. Dans les infirmeries, les "ambulances" et les "lazarets", les médecins de marine, sous les tropiques, se révèlent des cliniciens attentifs et avertis. Leurs descriptions des signes de la maladie restent des plus valables.

Les écrits de Dutrouleau* complétés par ceux de Béranger-Feraud* font encore autorité. S’agissant de la forme classique, ils identifient deux phases :

 La première dite rouge ou congestive, où le sujet fébrile, agité, perclus de douleurs, a le visage et les yeux congestionnés et rouges. Il présente des troubles digestifs et une atteinte profonde de l’état général.

 La seconde, dite jaune ou ictérique, qui a valu son nom à la maladie (amarillo : jaune en espagnol), survient au bout de quatre jours. Le malade a les téguments et les yeux jaunes. Très rapidement, le patient présente des hémorragies, vomit du sang noir (vomito negro). Ce signe est de très mauvais pronostic, ses reins "se bloquent", les urines deviennent rares ou même absentes. La mort a lieu entre le quatrième et le onzième jour après le début de la maladie.

Tous les médecins ayant servi en Afrique noire, surtout en zone rurale, ont eu à se préoccuper de cette maladie, pour la traiter ou la prévenir. Tous n’ont pas eu à vivre dans un foyer épidémique. Mais, par leur présence et leur vigilance, ils étaient les sentinelles des épidémies.

Dans son poste isolé, le jeune "médecin de brousse" examinait les malades, surtout les fébricitants, donnait l’alerte en cas de mortalité anormale dans un village. Ce faisant, il assurait une surveillance épidémiologique. Dès que le vaccin fabriqué par l’institut Pasteur de Dakar a été disponible, il avait la charge de vacciner toute sa circonscription contre la fièvre jaune et la variole (les vaccins étant mélangés au moment de la vaccination). Plus tard, ces tournées de vaccination furent assurées par le service des grandes endémies.

Enfin, se préoccupant autant de paludisme que de fièvre jaune, le service d’hygiène veillait à l’assainissement des villages, pourchassant les moustiques et leurs lieux de ponte : eaux stagnantes, réserves familiales, etc...

Démoustication des véhicules

Faut-il rappeler que le moindre relâchement de programme de vaccination et d’assainissement rend la région réceptive au virus et fait réapparaître les épidémies ?

LE RÔLE DU MOUSTIQUE ET L’ISOLEMENT DU VIRUS

En 1884, Carlos Finlay à Cuba déclare possible le rôle du moustique dans la transmission de la maladie à l’homme. Il faut aussi signaler que 30 ans plus tôt, en 1854, au Vénézuela, un médecin franco-vénézuélien, Louis Daniel Beauperthuy (1807-1871) avait attribué au moustique le rôle d’agent transmetteur de la fièvre jaune et recommandait l’utilisation de moustiquaires, la nuit. Il était le fils et le petit-fils d’un "apothicaire" et d’un "médecin" de la marine royale française, ayant tous deux servi à l’hôpital militaire de la Guadeloupe. Beauperthuy publia ses travaux, entre autres, à l’Académie des sciences de Paris qui ne leur accorda ni intérêt, ni retentissement.

Une mission américaine dirigée par Walter Reed confirme l’hypothèse de Finlay en 1901 et désigne pour responsable un moustique du genre Aedes. Vers cette même époque, la France envoie au Brésil, pendant quatre ans, en mission d’études, P.L. Simond* et E. Marchoux* qui confirment également le rôle de ce moustique. Par ailleurs, ces médecins des troupes coloniales jouent un rôle actif dans la lutte contre une épidémie en cours à Rio de Janeiro. Marchoux* est d’ailleurs fait citoyen d’honneur de la ville.

Quant à l’isolement du virus, il est réalisé en 1927, en même temps par l’Anglais A. Stokes au Ghana et par les Français de l’Institut Pasteur de Dakar, C. Mathis* et J. Laigret*.

Jean LAIGRET

LE DIAGNOSTIC DE LABORATOIRE

Porter à la connaissance de la communauté internationale tout cas de fièvre jaune étant une obligation, on mesure l’importance et la gravité du diagnostic. Celui-ci repose sur des examens de laboratoire, en particulier sur l’examen au microscope d’un fragment de foie prélevé sur le cadavre du sujet suspecté de fièvre jaune. Ce prélèvement fait en brousse peut être envoyé à distance, au chef-lieu.

Au cours de l’épidémie sénégalaise de 1965, R. Camain* à l’Institut Pasteur de Dakar a pu enrichir les données acquises sur les lésions hépatiques, spécifiques de la maladie, en particulier sur les formes de début.

Le second procédé pour établir un diagnostic de certitude est l’isolement du virus. Il est pratiqué dans des laboratoires bien équipés, à partir du sang du malade ou de matériel d’autopsie.

De nos jours, il existe un sérodiagnostic rapide (en quelques heures) mais l’isolement du virus reste indispensable sur le plan international pour affirmer l’existence d’un foyer de fièvre jaune.

Démoustication des cases

Dans les instituts Pasteur de Dakar et d’Abidjan, Lhuillier* a mis au point une technique rapide dite de recherche d’IgM antiviral. On prélève du sang chez le sujet suspect et, en une heure, le diagnostic (ou du moins une forte suspicion) de fièvre jaune est confirmé ou écarté. On peut ainsi tracer le front d’une épidémie et faire porter l’effort de prévention et de vaccination là où se trouve le danger.

LA DÉCOUVERTE ET LA PRODUCTION DU VACCIN ANTIAMARIL

A partir de la souche isolée à Dakar par Mathis* et Laigret* en 1927, l’Américain Max Theiler adapte le virus à la souris. Ce qui permet, en 1932, d’inventer le premier vaccin grâce à la collaboration de Laigret* et de l’Américain A.W. Sellards.

Un vaccin, plus efficace et mieux toléré, est mis au point en 1939, sous le nom de "Vaccin de l’institut Pasteur de Dakar" par M. Peltier*, C. Durieux*, H. Jonchère* et E. Arquié*. Il est administré facilement par scarification de la peau et peut être utilisé en association avec le vaccin de la variole. Toutes les colonies françaises d’Afrique sont ainsi vaccinée au cours des années 40 et la fièvre jaune humaine disparaît. Malheureusement, ce vaccin peut provoquer des encéphalites graves et même mortelles, surtout chez l’enfant. D’abord réservé aux plus de 12 ans, il est abandonné à partir de 1967.

Vaccination par un infirmier

Le vaccin utilisé à sa place et encore valable de nos jours, le vaccin dit "Rockefeller. 17 D", a été mis au point par Max Theiler. Il est administré par injections sous-cutanées à partir de l’âge de un an. Sa tolérance est excellente et son efficacité dure au moins dix ans. Il présente l’inconvénient d’être rapidement inactivé par la chaleur. L’addition d’un excipient mis au point par l’Insitut Pasteur de Paris (Barme), parfaitement intégré dans la fabrication actuelle du vaccin par l’Institut Pasteur de Dakar permet d’obtenir une totale thermostabilité. La production de l’institut Pasteur de Dakar approvisionne toutes les équipes de vaccination de l’Afrique francophone et contribue à la protection du continent. C’est ce même vaccin dit antiamaril qui est exigé actuellement pour les voyageurs et les touristes se rendant en Afrique noire et en Amérique tropicale.

LE RISQUE AMARIL

L’étude des différentes épidémies apparues à travers le monde a permis de préciser les modalités de circulation du virus. La fièvre jaune est une maladie des singes et elle est transmise de singe à singe par la piqûre du moustique. Ainsi se crée un "cycle sauvage" du virus :

Singe malade ---> moustique ---> singe sain.

Zones d’endémicité amarile

Ce cycle "sauvage" du virus est impossible à éteindre. L’homme fait figure d’intrus. Qu’un homme sain (non vacciné) s’aventure dans la brousse et soit piqué par un moustique infecté, ou qu’un singe infecté pénètre dans un village et infecte un moustique, surviendront les premiers cas humains, les moustiques se chargeant ensuite de propager l’épidémie.

La durée de protection par le vaccin est de dix ans. Les populations ainsi rendues non-réceptives sont à l’abri de la maladie. Ce qui explique que, de nos jours, les épidémies soient devenues rares et de courte durée. Elles persistent cependant puisque chaque année, selon l’Organisation mondiale de la santé, 200 000 personnes sont atteintes faute d’avoir été vaccinées, et 20 000 meurent.

Élevage d’Aédès

La collectivité internationale a adopté un texte codifiant bien les mesures à prendre vis à vis de la fièvre jaune : le Règlement sanitaire international ou R.S.I.

La protection mondiale exige que soient constamment en alerte des structures spécialisées, réparties dans les pays concernés par la fièvre jaune. Depuis longtemps, l’institut Pasteur de Dakar est l’un des quatre "centres régionaux de référence de l’OMS", chargés du contrôle de la maladie. Le dispositif mis en place au temps de la colonisation a été maintenu.

Les équipes médicales pasteuriennes et de l’ORSTOM sont chargées en permanence de surveiller l’activité du virus chez l’homme et les singes par l’étude des sérums et chez les vecteurs par captures au moyen de pièges ou sur appâts humains. Des règles de conduite et des programmes concrets ont été mis au point notamment en 1965 par les pasteuriens du corps de santé colonial à Dakar.

A travers le continent africain, nombreux sont les biologistes coloniaux qui ont pris une part très active à la lutte contre cette maladie.

Le vaccin actuel est, pour le moment, actif sur tous les types de virus amaril. Néanmoins, l’effort de recherche mérite d’être poursuivi afin de séquencer au mieux le virus pour envisager de nouveaux vaccins. L’IMTSSA et le centre de biologie moléculaire du Pharo participent grandement à cette recherche de pointe (Nicoli* et Coll.).

Enfin, la notoriété du pasteurien colonial P. Brès* lui valut de diriger de 1970 à 1981 la division des arboviroses et de la fièvre jaune au siège de l’OMS, à Genève.

Vaccination au Ped-O-Jet

Le bilan de l’action du service de santé colonial est largement positif. Dans sa zone d’influence, aucune flambée épidémique semblable à celles du XIX° siècle ne s’est développée. Tant que la couverture vaccinale qu’il a assurée sera maintenue, la fièvre jaune sous sa forme d’épidémies dévastatrices ne devrait plus être citée que dans les livres d’Histoire. Mais déjà, l’interruption de la régularité des campagnes de vaccination, depuis 1965 permet le développement de petites épidémies. Ainsi, la fièvre jaune serait encore responsable, actuellement de 200 000 cas annuels avec 30 000 décès.

Pour en savoir plus

 A.F. Dutrouleau : Traité des maladies des européens dans les pays chauds. 1 vol. 607 p. Edit. Baillière Paris 1861.
 L.S.B. Béranger-Féraud : Traité théorique et clinique de la fièvre jaune. 1 vol. 985 p. Edit. Doin Paris 1890.
 E. Marchoux et P.Simond : La fièvre jaune. (Rapport de la mission française) Bull. Inst. Pasteur 1904,2,1-10 et 49-52. Ann. Inst. Pasteur 1906, 20,16-40,104-148,161-205.
 Ch. Joyeux et A. Sice : La fièvre jaune. In Précis de médecine coloniale p.701. Collection de précis médicaux, Edit. Masson et Cie Paris 1937.
 P. Navaranne : Une épidémie coloniale ayant tourné à la catastrophe épidémiologique : Saint-Domingue. Thèse n°59, 10 juin 1943, Montpellier.
 M. Peltier : La fièvre jaune. In Médecine tropicale par M. Vaucel . p. 959. Edit. médicales Flammarion. Paris 1952.
 R. Camain et D. Lambert. Une épidémie de fièvre jaune au Sénégal en 1965 : Histopathologie des foies amariles prélevés post-mortem et par biopsies. Bull.OMS. 1967, 36, 129-136.
 M. Sankale et I. Diop-Mar : La fièvre jaune. Conc. méd. 1976,98,8,1047.
 F. Rodhain : Arboviroses Encyclopédie médico-chirurgicale. Maladies infectieuses, 8-062-A 10. 1995, 16p.
 J.P. Digoutte, M. Cornet, V. Deubel, W.G. Downs. : Yellow fever. Kass handbook of infectious diseases. Exotic viral infections. Edited by Porterfield J.S., Chapmann and hall medical p.67-102.