
Dans chaque port, dans chaque rade,
Te voilà donc, mon camarade
Prêt à partir, tout simplement,
Pour d’autres plages de souffrance,
Là-bas, vers la plus grande France,
Missionnaire du dévouement !
Avec nos héros d’épopées,
Remparts vivants, saintes épées,
Tout notre orgueil, tout notre espoir,
En Flandre, en Artois, sur les Woevres,
La paix au cœur, la pipe aux lèvres,
Tu viens de faire ton devoir.
Stoïque en ta pieuse tâche
Tu rêvais d’un peu de panache,
Malgré tout, pour tes héritiers.
Servi dans tes vœux légitimes
Reprends tes routes maritimes
Regagne tes anciens quartiers.
Tu vas rentrer dans la carrière.
Cuirasse ton âme guerrière ;
Ta guerre à toi dure trente ans,
Et chaque jour c’est la bataille
Où l’on meurt d’une simple entaille
Chaque nuit, c’est un guet-apens
Trente ans tu vas servir de cible
A maint adversaire invisible
Qui peut, implacable démon,
T’assaillir sans merci, ni terme
Par chaque pore de ton derme
Chaque alvéole du poumon.
Là-bas, plus de poudre qui grise
Tu vas respirer dans la brise,
Après les gaz, d’autres relents ;
Et tu n’auras en fait de masques
Que la visière de nos casques
Et de ton lit les tulles blancs.
Pourtant parmi les pestilences,
Improvise les ambulances
Et sois poète jusqu’au bout,
Celui qui crée et qui compose ;
Avec un rien fais quelque chose,
Avec quelque chose, fais tout.
Sois constructeur, sois architecte,
Trace des plans, dirige, inspecte,
Fais des jardins, sème des fleurs
Car chaque fleur est un sourire
Qu’il faut cultiver sans rien dire
Au seuil de nos maisons de pleurs.
Penche -toi vers l’être qui souffre
Et si tu vois qu’il glisse au gouffre,
Oh ! ne le laisse pas tout seul.
A l’heure où son âme vacille
Sois pour lui toute sa famille,
Jusqu’aux yeux clos, jusqu’au linceul.
Sur les arroyos, les lagunes,
Dans la rizière ou dans les dunes
Par quelque chemin que ce soit
Parout où la peau se basane,
A pied, en jonque, en filanzane,
C’est encore toi qu’on aperçoit.
C’est toi qu’on voit, avec ta trousse,
Des mois entiers, de par la brousse,
Allant sous des ciels étouffants
Glisser, sans que rien te haras,
La lymphe qui sauve une race
Dans le bras de milliers d’enfants.
C’est toi qu’on voit sous les tropiques
Livrer mille combats épiques
A tous ces germes décevants,
Pourvoyeurs de toutes ces fièvres
Qui sucent le sang de nos lèvres
Et font de nous des morts-vivants.
C’est toi qu’on voit dans tous les bagnes,
Avec tes divines compagnes,
La science et la charité,
Dans toutes les léproseries
Au contact des pires scories
Splendide de sérénité.
Aux fronts lointains de la conquête,
C’est toi qu’on voit prenant la tête
Du coup de feu quand il le faut.
Les chefs sont morts…. Tu les remplaces ;
Le caducée a ses audaces
Il a les ailes d’un drapeau.
Mais où ton geste atteint la cime
De l’héroïsme et du sublime
C’est quand tu vas en souriant,
Mesny, dans les pestes mongoles,
Mourir pour l’honneur des écoles
De la France d’Extrême-Orient.
Un jour tu reviendras sans doute
Après avoir usé ta route
Et, d’un élan toujours pareil,
Voué le meilleur de ta vie
A travailler pour ta patrie,
La plus belle sous le soleil.
Au tableau vingt épidémies
Reins fourbus par les anémies
Mais un tel lot de souvenirs
Que, malgré tout, la tâche faite,
Tu ne pourras à ta retraite
Regretter d’autres avenirs
Qu’importe à ton âme d’apôtre
Que l’on prodigue à l’un à l’autre
Les hochets de la vanité
La croix qu’il faudrait qu’on t’assure…
il n’en est pas à ta mesure
Ô soldat de l’Humanité.