L’onchocercose est une maladie causée par l’invasion de l’organisme par des vers filiformes appelés filaires appartenant à l’espèce Onchocerca volvulus. Sa gravité tient surtout à la grande fréquence des cécités qu’elle provoque chez les populations vivant au bord des rivières d’où son nom de "cécité des rivières". Elle sévit essentiellement en Afrique mais aussi en Amérique centrale et dans un petit foyer au Yémen, régions où les convois d’esclaves ont introduit la maladie dès le quinzième siècle.
Ses causes, ses manifestations cliniques et sa gravité, son mode de transmission n’ont été que tardivement éclaircies. Le Corps de santé colonial a participé largement à ces découvertes, en particulier dans l’étude de l’endémie en Afrique et à la disparition de la maladie.
Les moyens mis en jeu et récemment l’arrivée d’un médicament très efficace, permettent le contrôle de la maladie, "débarrassant l’humanité de cette maladie incapacitante".
L’ONCHOCERCA VOLVULUS
Au moment de la grande chasse aux agents infectieux, en 1892, au Ghana, un missionnaire allemand prélève des nodules sous-cutanés chez des malades et y trouve des vers. Un naturaliste les identifie : ce sont des filaires qui porteront le nom d’Onchocerca volvulus. Ces vers, de longueur variable selon le sexe (5 cm pour les mâles et 50 cm pour les femelles), vivent sous la peau à l’état libre ou dans les kystes onchocerquiens, pendant une douzaine d’années. Leurs oeufs, dans l’utérus de la femelle, donnent naissance à des larves microscopiques appelées, microfilaires, qui se trouvent en abondance dans le derme de la peau, les ganglions lymphatiques et les tissus de l’oeil. Ce sont les microfilaires qui vivent un à deux ans et sont responsables de troubles cutanés et oculaires.
LES MANIFESTATIONS CLINIQUES
Les signes de cette maladie, disparates, ne sont attribués à une cause unique que progressivement.
L’expression clinique la plus frappante est la présence sous la peau de nodules de la taille d’un pois à celle d’une mandarine, indolores, durs, roulant facilement sur les os sous-jacents : hanches, côtes. Ils ne suppurent jamais et finissent par se calcifier. Dès 1902, des médecins du Corps de santé colonial signalent l’existence de ces nodules chez des habitants de l’Oubangui-Chari. Puis Brumpt en retrouve au Congo. Les Allemands en observent également dans les populations camerounaises.
Un autre symptôme cutané précoce et constant est l’existence d’un prurit intense, "féroce", évoluant par poussées, à l’origine de lésions de grattage : la peau s’épaissit, puis s’atrophie et se dépigmente donnant l’aspect d’une peau de lézard. Les zones les plus fréquemment atteintes sont la partie basse du tronc et les membres inférieurs. Ouzilleau* constatant la concomitance des lésions de la peau et des nodules sous cutanés, donne le nom de "volvulose cutanée" à cet épaississement du derme.
En 1920, deux dermatologistes d’Alger, Montpellier et Lacroix, étudiant une forme de gale observée chez des tirailleurs originaires d’Afrique occidentale, découvrent dans le derme des microfilaires d’Onchocerca volvulus. Ils la dénomment "gale filarienne". Ouzilleau*, Laigret* et Lefrou* font le même constat en 1921, à Brazzaville. Le mécanisme des lésions cutanées est de type allergique, les protéines des microfilaires sensibilisant les tissus dermiques. Les lésions de grattage sont la porte d’entrée de microbes qui aggravent le tableau clinique.
Une autre localisation a été décrite : l’hypertrophie des ganglions de l’aine qui peut conduire à un épaississement de la peau intéressant le derme et l’hypoderme, l’éléphantiasis. Il siège le plus souvent aux membres inférieurs ou aux organes génitaux. La déformation réalise des bourrelets séparés par des sillons, sièges de toutes les surinfections et devient parfois monstrueuse, entraînant une gène fonctionnelle majeure. On a quelquefois attribué à Onchocerca Volvulus les énormes éléphantiasis des organes génitaux. Ouzilleau* en 1913 est convaincu que cette filaire peut en être responsable puisqu’il la retrouve chez tous les éléphantiasiques. Les Belges Rodhain et Dubois le confirment. Laigret*, à l’occasion d’un recensement au Soudan est plus réservé. Cependant, si parmi les filaires responsables, Onchocerca volvulus peut intervenir, la cause de loin la plus fréquente de l’éléphantiasis est la filariose lymphatique.
La responsabilité de l’onchocercose dans la genèse de troubles oculaires a été reconnue tardivement, par Roblès et Pacheco-Luna, en 1919 au Guatemala. En Afrique où les taux de cécités sont pourtant bien plus élevés qu’en Amérique, ces signes oculaires sont notés mais les causes possibles en sont si nombreuses que la relation avec les nodules dermiques n’est pas faite. La syphilis en particulier est invoquée par Cloitre* à Madagascar alors qu’elle est écartée par Bertrand* au Togo. D’autres pensent à la trypanosomiase et surtout à un effet indésirable du traitement par les arsenicaux. Lefrou* et Goarnisson incriminent une avitaminose A. Et ce n’est qu’en 1932 qu’un ophtalmologiste belge, Hissette, identifie parfaitement les lésions oculaires onchocerquiennes, au Congo belge. De nombreux travaux suivent avec, en particulier après la création de l’IOTA, les études des ophtalmologistes du Corps de santé colonial : D’Haussy*, Monjusiau*, Vedy*. Tous les tissus oculaires peuvent être atteints : la cornée, l’iris et le corps ciliaire, la choriorétine et le nerf optique.
LE MODE DE TRANSMISSION
L’intervention d’un moustique ayant été établie dans la transmission du paludisme, Ouzilleau*, en 1913, au Congo, incrimine pour l’onchocercose un moustique du genre Culex. Quelques années plus tard, les belges Rodhain et Van den Braden soupçonnent les moustiques du genre Stegomyia et les punaises. Roblès, au Guatemala, incrimine une autre espèce, en 1919. Ses observations lui permettent de conclure que la transmission fait intervenir un insecte piqueur et suceur qui a une prédilection pour les tempes et la nuque . Il n’y en a qu’un dans la région étudiée : la simulie femelle, petit moucheron noir, long de deux millimètres.
Blacklock, en 1924, en Sierra Leone, confirme les travaux de Roblès et précise l’évolution des microfilaires chez la simulie infectée : en une huitaine de jours, les microfilaires passent du tube digestif dans les muscles thoraciques et gagnent ensuite la trompe d’où elles s’échappent au moment de la piqûre. Son travail sera confirmé en 1946.
À la différence de la simulie américaine, la simulie africaine a tendance à piquer les jambes. En Afrique, on trouve ces moucherons par essaims, dans la journée. Leur piqûre est douloureuse et sanglante. Leur distance de vol peut être très grande, de l’ordre de plusieurs dizaines de kilomètres. Les simulies pondent sur les plantes et rochers des eaux courantes et agitées, fortement oxygénées. Elles peuvent coloniser en quelques jours le courant d’une rivière. Les oeufs sont agglutinés en paquets par une substance glaireuse. Avant de se transformer en moucherons, les larves vivent dans le cours d’eau.
L’ÉTUDE DE L’ENDÉMIE EN AFRIQUE
L’onchocercose est une maladie exclusivement rurale. Elle est, avec le trachome, l’une des grandes causes de cécité et frappe des millions de personnes dans le monde. On estime que dans la seule Afrique intertropicale, elle atteint plus d’un million de personnes et provoque la cécité de cent mille d’entre elles.
Jusqu’au début des années 1930, les régions soudano-sahéliennes ne sont pas comprises dans l’aire reconnue de propagation de l’onchocercose malgré la détection d’un foyer au Soudan par Lecomte*, en 1915. En réalité, aucune prospection méthodique n’a été réalisée. Richet*, le premier, en 1938, en Haute-Volta, mène une enquête épidémiologique sur les sujets éléphantiasiques, porteurs de nodules et ayant des troubles visuels.
Dans le même temps, Muraz*, Directeur du SGAMS oriente les équipes de prospection vers le dépistage des onchocerquiens, qui sont découverts en grand nombre, en AOF et au Togo. Jusque là, les commissions de recrutement avaient enrôlé les porteurs de nodules cutanés, considérant qu’il n’y avait pas d’incompatibilité avec l’état militaire. Dès 1938, Richet* s’y oppose pour enrayer la diffusion de l’endémie. Hélas, à partir de 1942, une partie du personnel infirmier est envoyée sur les fronts, par ailleurs, les véhicules et le carburant sont réquisitionnés, aussi la prospection est arrêtée.
Après la guerre, en 1947, l’onchocercose étant considérée comme une grande endémie, la lutte reprend avec les moyens importants du SGHMP. Le Rouzic* charge Puyuelo* de faire un inventaire de l’onchocercose en Haute Volta. Les premiers chiffres obtenus en 1948-49 indiquent l’ampleur de l’infection : sur 102 188 sujets examinés, 17 185 sont porteurs de nodules dont 8 094 présentent des troubles visuels de gravité variable et 1 838 sont aveugles. Les taux à la fois d’infection et de troubles oculaires sont 5 à 6 fois plus élevés au voisinage des Volta. "La proximité des grandes rivières mange les yeux" dit un dicton populaire en pays Mossi, irrigué par les trois Voltas (Noire, Blanche et Rouge). De fait, le prélèvement systématique de la sérosité obtenue par scarification de la peau permet d’évaluer à 20 % de la population le taux d’infection dans les régions voisines des cours d’eau. Pfister* constate que la moitié des porteurs de microfilaires d’Onchocerca volvulus dans le derme ne présentent pas de nodules. La seule palpation cutanée ne révèle donc que la moitié des sujets infectés.
Jonchère* qui vient de remplacer Le Rouzic* à la tête du SGHMP, en 1953, organise des enquêtes systématiques au niveau de la fédération. Elles se terminent au début de l’année 1954 ; elles permettent de mieux apprécier l’étendue des ravages en AOF. Le nombre d’onchocerquiens en AOF est estimé à 200 000 dont la moitié en Haute Volta où, sur près d’un million de personnes examinées, on dénombre 46 000 onchocerquiens. Ce chiffre (qui s’avèrera bien inférieur à la réalité) donne enfin une mesure de l’importance de l’endémie car sa répartition est capricieuse et les causes de cécité multiples sous ces climats ; un examen par un ophtalmologiste est nécessaire pour incriminer l’onchocercose avec certitude.
La création par Labusquière* d’un "Groupement ophtalmologique mobile de Haute Volta" avec Monjusiau*, Rolland*, De Gabriel* permet d’effectuer des essais thérapeutiques et surtout des études épidémiologiques précises, ophtalmologiques et parasitologiques. Picq* met au point un test de comptage des microfilaires qui donne une approche quantitative du degré d’infection. Rolland* démontre que les complications oculaires graves et les cécités (jusqu’à 10 % dans les villages les plus atteints) sont limitées aux premières lignes de peuplement des bords de rivières, là où le contact avec les simulies est intense et prolongé.
Ces recherches permettent d’identifier les onchocerquiens "à risque oculaire", ceux qu’il est très urgent de traiter. Grâce à l’action de cette section du SGHMP, dès 1966, la Haute Volta est le premier pays d’Afrique où le recensement des sujets onchocerquiens est complet. Ce sera un élément déterminant dans le choix du pays où plus tard sera appliquée à grande échelle la campagne de prévention par désinsectisation.
LES MOYENS DE LUTTE
Pendant longtemps, ayant délimité la zone d’endémie et dépisté des milliers de malades, le médecin colonial reste impuissant devant l’onchocercose car il ne dispose pas de médicament réellement actif. La méthode traditionnelle africaine consiste à déplacer le village à vingt ou trente kilomètres de la rivière, dans des endroits plus secs, moins fertiles mais moins dangereux.
L’ablation systématique des kystes, entreprise au Guatemala dès 1915 n’a pas permis d’observer d’améliorations durables car les réinfections sont de règle. En Afrique les résultats sont aussi décevants.
En 1947, Hewit utilise un dérivé de la pipérazine, la diéthylcarbamazine ou notézine, actif contre d’autres filaires. Puyuelo*, en 1949, chez 70 onchocerquiens obtient de bons résultats mais le médicament est mal toléré (prurit féroce et complications oculaires). Il observe de violentes réactions de type allergique dues à la destruction brutale des microfilaires. En outre, la notézine est sans efficacité sur les filaires adultes.
La suramine utilisée contre la maladie du sommeil a quelque efficacité contre les vers adultes. Mais c’est un produit dangereux, parfois mortel, difficile à administrer et inefficace en zone d’endémie, lieu d’infections successives.
Devant les échecs de ces traitements, l’action médicale va se porter vers la protection des sujets sains par la destruction des vecteurs, les simulies. On sait que cette lutte devra être de longue durée, l’interruption de la transmission devant être supérieure à la longévité du ver adulte soit au moins 14 ans. Une tentative, au Kenya, dans un foyer isolé, réussit à éradiquer le vecteur et interrompre la transmission.
Richet*, dans les années 1950, entreprend dans une région du Tchad une campagne par épandage d’insecticide au moyen d’hélicoptères. Mais cet essai est rapidement arrêté car ce foyer se révèle ré-infecté par les rivières des régions voisines non traitées.
Dès 1955, M. Ovazza, entomologiste de l’Office de la recherche scientifique de la France d’outre-mer (ORSTOM) arrive à Bobo Dioulasso, au centre Muraz, pour étudier la biologie des simulies et préconiser des moyens de lutte. Au même moment, Richet* succède à Masseguin*, à la direction du SGHMP et décide la création d’une section onchocercose. Quélennec entreprend l’évaluation de l’effet de divers larvicides dont le téméphos, sur les larves de simulies et met au point une méthode originale de mesure de la résistance des larves aux insecticides. Cette méthode sera utilisée par le programme OMS. La section de parasitologie du centre Muraz (Lamontellerie*, Picq*), les ophtalmologistes de l’IOTA (Veilleux*, Le Breton-Oliveau*) et le groupe mobile de Haute Volta travaillent en collaboration étroite avec les entomologistes de Bobo-Dioulasso renforcés par Le Berre et Philippon. A partir de 1959, des fonds suffisants sont attribués pour que la lutte puisse être entreprise avec des moyens importants, permettant les pulvérisations par hélicoptère de larvicide du type téméphos dans toute les eaux courantes d’une région.
Après les indépendances, l’OCCGE en Afrique occidentale et l’OCEAC en Afrique équatoriale prennent le relais du SGHMP. Précédée pendant deux ans par la mission d’Assistance aux gouvernements (PAG Mission), dirigée par Hamon, destinée à établir le plan de campagne, le budget et les retombées économiques et sociales de la lutte contre l’onchocercose, une action de grande envergure est entreprise en 1975. L’OMS avec l’appui de la Banque mondiale, de la FAO, du PNUD et le financement de nombreux pays donateurs, lance le Programme de Lutte contre l’Onchocercose en Afrique de l’Ouest (Onchocerciasis Control Programme, OCP). Le directeur du programme, Ziegler est installé à Ouagadougou et une section de soutien à Genève, sous la responsabilité de Quélennec*. Le choix du terrain de l’opération est dicté par la parfaite connaissance de l’endémie grâce au travail du SGHMP. Nulle part ailleurs "l’état des lieux" en matière d’onchocercose n’est aussi précis. Sur un territoire grand comme une fois et demi la France, centré sur la Haute Volta, les pulvérisations sont renouvelées régulièrement plusieurs fois par mois. Dix millions d’habitants sont concernés. Le programme dure vingt ans et coûte 120 millions de dollars. La transmission de l’onchocercose est interrompue.
Le vecteur simulidien n’est pas éradiqué mais il est contrôlé. Tous les indices d’infection onchocerquienne diminuent progressivement malgré l’absence de tout traitement médicamenteux. Le programme international prend fin en 2002. On sait qu’au delà de cette date, la surveillance épidémiologique devra rester vigilante pour éviter la résurgence de microfoyers résiduels susceptibles de servir de point de départ à de nouvelles vagues d’onchocercose.
L’autre volet de la lutte contre l’onchocercose est représenté par la chimioprophylaxie. La mise sur le marché, au début des années 1980, de l’ivermectine homologuée en 1987, présentée sous le nom de mectizan est un progrès considérable. Il présente une bonne tolérance. La prise d’un comprimé tous les six mois fait disparaître les microfilaires et inhibe la ponte des filaires adultes. Son utilisation, associée à la lutte antivectorielle, laisse penser que cette endémie pourrait, avec le soutien de la solidarité internationale, disparaître totalement de l’Afrique intertropicale.
Une statue commémorative a été érigée en face de l’entrée principale du siège de l’OMS à Genève. Au pied de ce monument, une plaque de bronze informe le passant :
Cette image désolante d’un enfant guidant un adulte rendu aveugle par la cécité des rivières, fléau des communautés pauvres. "Au bout de la piste" était un spectacle courant dans de vastes régions, particulièrement en Afrique.
Unissant leurs efforts en un partenariat exceptionnel, le programme de lutte contre l’onchocercose en Afrique de l’Ouest, le programme africain de lutte contre l’onchocercose et le programme d’élimination de l’onchocercose dans les Amériques ont débarrassé l’humanité de cette maladie incapacitante, contribuant ainsi à faire reculer la pauvreté.
Cette statue porte témoignage du succès d’une action de santé publique unique, qui a également favorisé le développement socio-économique.
La statue a été dévoilée le 6 octobre 1999 par le Dr Gro Harlem Brundtland, directeur général de l’organisation mondiale de la santé, à l’occasion du 25ème anniversaire du programme de lutte contre l’onchocercose en Afrique de l’ouest.
Suit sur le bronze la liste des donateurs ayant contribué au financement de la statue.
Pour en savoir plus :
– Comité d’experts de l’onchocercose. Edit. Genève. Série de rapports techniques. 1966,335,101p.
– OMS : Epidémiologie de l’onchocercose. Série de rapports techniques. Edit. Genève. 1976,597,108p.
– Vedy J. Graveline J. : Onchocercose in Précis d’ophtalmologie tropicale. Diffusion de librairie. Edit. Marseille 1979,267,152-167.
– Picq J.J. Philippon B. : Onchocercose Encycl. Méd.-Chir. Maladies infectieuses 8-112 A50, 10-1981.
– OMS/OCP : 10 ans de lutte contre l’onchocercose OCP Ouagadougou Edit. 1985 183p.