Le trachome est une maladie des yeux due à une bactérie de très petite taille qui, comme les virus, ne se développe qu’aux dépens de cellules-hôtes vivantes, Chlamydia trachomatis.
C’est une kérato-conjonctivite qui peut aboutir à la cécité. On estime, en 1985, à 500 millions le nombre de trachomateux dans le monde, dont 7 à 9 millions d’aveugles. C’est une maladie de transmission directe par les mains sales. Elle peut aussi être indirectement transmise par les mouches si souvent agglutinées sur les yeux des enfants, sous les tropiques. La contamination se fait très tôt, dès la première enfance.
La répartition géographique de la maladie correspond à celle de la misère, de la promiscuité et de l’absence d’hygiène. Pendant la première moitié du vingtième siècle, l’endémie est maximale en Afrique méditerranéenne (Maghreb, Egypte, Ethiopie), en Inde et au Brésil. Importée en Afrique noire par les caravanes trans-sahariennes, elle progresse ensuite le long des axes routiers et fluviaux. Dans certains villages de la région sahélienne, 2 à 6 villageois sur 10 en sont atteints. La maladie est rare à Madagascar.
Le Corps de santé colonial a tenté de s’opposer à cette endémie. Mais, au début, ses moyens d’action sont bien limités. Après le Second Conflit mondial, des dépistages systématiques sont pratiqués afin d’établir la carte de l’endémie. En 1952, est créé à Bamako le Centre d’ophtalmologie de l’AOF qui deviendra l’Institut d’ophtamologie tropicale appliquée ou IOTA. La lutte contre le trachome entre dans les objectifs du Service des grandes endémies. Des campagnes de masse sont organisées.
L’Organisation mondiale de la santé a récemment lancé des campagnes d’éradication avec dépistage et traitement systématique des malades. En fin de vingtième siècle, la maladie est en régression. Ce recul est lié à la progression du niveau d’hygiène, des conditions de vie, et de l’éducation.
DE LA CONJONCTIVITE À LA CÉCITÉ
Cliniquement, il s’agit d’une conjonctivite génératrice de follicules, petites élevures disséminées sur la surface de la conjonctive de la paupière supérieure. Les deux yeux sont simultanémént atteints. Les lésions ne sont visibles qu’après éversion de cette paupière. Puis, la cornée est elle même envahie (kératite) enfin, les voies lacrymales. L’évolution se fait vers une rétraction cicatricielle interne de la paupière qui a pour effet de retourner vers l’oeil les cils devenus rigides et cassants (trichiasis). La sécheresse de la cornée par tarissement des larmes, associée à cet incessant "brossage" de surface altère la cornée qui s’opacifie et s’ulcère, aboutissant à la cécité.
L’association sulfamides par voie générale et antibiotiques en pommade ophtalmique, prolongée pendant plusieurs semaines, est efficace mais est hors de portée du plus grand nombre. Actuellement, les antibiotiques utilisés par voie générale ont supplanté les sulfamides mais l’accent reste mis sur la nécessité concomittante de mesures d’hygiène et d’éducation sanitaire.
LE DÉPISTAGE ET LA QUANTIFICATION DES MALADES
Après le Second Conflit mondial, Le Rouzic*, directeur du service de santé au ministère de la France d’outre-mer écrit au ministre : "Bien que l’incidence du trachome n’ait rien de comparable numériquement aux méfaits du paludisme, de la trypanosomiase, etc... L’importance de la lutte contre les affections oculaires n’a pas échappé au Département".
Les chiffres des trachomateux recensés selon les statistiques officielles, en 1951, sont les suivants :
AOF : 16 618
Togo : 2 741
AEF : 4 664
Somalis : 206
Cameroun : 5 275
Madagascar : 12
soit en tout 29 516 cas.
Dans le cas de trachome grave, un malade sur dix, à peu près, sera atteint de cécité.
L’INSTITUT D’OPHTALMOLOGIE TROPICALE APPLIQUÉE (IOTA)
Pour intensifier la lutte contre les maladies oculaires tropicales et le trachome en particulier, il est créé à Bamako, le centre d’Ophtalmologie de l’AOF qui succède au centre d’Ophtalmologie du Soudan, créé en 1946, dans la même ville. En 1952, il prend le nom d’IOTA. Son rôle est triple :
– spécialisation du personnel : médecins et infirmiers,
– établissement de la carte de l’endémie,
– développement du Centre de documentation, de recherches et d’études.
A la même époque, le Corps de santé colonial intensifie la formation des spécialistes en ophtalmologie. En 1952, ils sont au nombre de 19, répartis à travers le domaine colonial.
Sur le plan pratique, dès la création de l’IOTA, chaque médecin affecté aux grandes endémies en AOF apprend là, en début de séjour, la technique chirurgicale réalisable en dispensaire destinée à empêcher le retournement des cils. En découpant un"quartier d’orange" sur la paupière cicatricielle, on la redresse et on évite le balayage de la cornée par les cils ainsi que toutes les conséquences infectieuses qui peuvent en découler. De nombreux malades ont ainsi pu être opérés et leur cécité évitée.
LES CAMPAGNES DE MASSE CONTRE LE TRACHOME
Selon les méthodes du service des grandes endémies, dérivées de la méthode Jamot*, des équipes mobiles sont constituées dans les secteurs de forte endémie trachomateuse.
– le dépistage : Ainsi, en 1955, au Cameroun, dans la région du Logone et Chari, Cousserans* dirige une équipe mobile dans une région peuplée de semi-nomades. Elle est divisée en huit secteurs et compte près de 400 villages. Il dispose de deux équipes de dix personnes dotées chacune d’un camion. En six mois, 40 000 personnes sont examinées. Dans les différents villages, 6 à 14 % des habitants sont atteints de "maladie oculaire", avec un total de 1 600 trachomateux dont plus d’une centaine vraisemblablement vouées à la cécité.
En 1956, Reydy*, au Tchad, sur 5 007 sujets dépiste 507 trachomateux (10 %).
Il est à noter que les équipes, en même temps, dépistent les lépreux et de vaccinent la population.
– le traitement : enlever avec une curette les petites granulations de la paupière s’avère infructueux. Ce procédé traumatisant est souvent suivi d’infection. Des essais de "rabotage" des paupières par un morceau de sucre ont été proposés. Tous ces procédés entrainent une cicatrisation rétractile de la paupière. Plus nocifs qu’utiles, ils ont été abandonnés.
En 1955, selon les instructions du Directeur de la santé, Beaudiment*, les équipes mobiles du Cameroun utilisent le frottage des conjonctives par un demi-comprimé de Dagenan (sulfamide). Il s’ensuit une espèce de pâte blanchâtre facile à étendre. L’application, après lavage des yeux, se fait une ou deux fois par jour pendant six jours. Puis l’aide soignant repart. Au cours de son passage, l’équipe mobile assure des pulvérisations d’insecticides dans les cases afin de réduire la pullulation des mouches et, par là même, la transmission du trachome.
Après l’arrivée des antibiotiques et avec les progrès liés à une meilleure connaissance du microbe du trachome, le traitement s’est profondément modifié pour atteindre son actuelle efficacité. Des antibiotiques sont prescrits par voie orale et sous forme de pommade dans l’oeil. ce traitement doit être prolongé pendant plusieurs semaines ou mois. Il est efficace, peu coûteux mais difficile à mettre en oeuvre en milieu défavorisé.
Après les indépendances, le relais du SGHMP a été pris par l’OCCGE.
Pour en savoir plus :
– Pichard E & Resnikoff S. : Trachome. Encycl. Méd. Chur. Paris. Maladies infectieuses. 8-037 G-10,1993,3p.
– Védy J. : Précis d’ophtalmologie tropicale. 2° Ed. Diffusion générale des librairies. Marseille 1988.