Avec l’expansion coloniale engagée par la troisième République, la nécessité de former, dans chaque territoire, un personnel médical et paramédical autochtone s’impose comme une évidence. L’instruction publique est organisée rapidement dans les capitales des territoires. Il faut cependant attendre qu’elle ait atteint un bon niveau avant d’envisager l’ouverture d’écoles de médecine.
Toutes ces écoles ont eu une évolution comparable. En dehors de la Chine, leur répartition suit la dispersion du domaine colonial français. L’enseignement y est donné par le Corps de santé colonial, en exclusivité ou en quasi exclusivité. L’innovation pédagogique y est constante et féconde.
Les diplômés formés, appelés médecins auxiliaires, jouent un rôle essentiel.
Ces écoles de médecine dites indigènes ou coloniales, non universitaires, constituent la première étape. Autour des années 1950, elles laissent la place à des facultés de médecine et pharmacie de nature universitaire. Dans le démarrage de celles-ci, l’expérience et la compétence des personnels du Corps de santé colonial ont été largement appréciées.
L’ÉVOLUTION DES ÉCOLES DE MÉDECINE AUTOCHTONES
Les gouverneurs généraux demandent la mise en place d’une assistance médicale largement répandue, même au prix d’une formation plus rapide et moins ambitieuse, essentiellement pratique.
Dans certains pays, des établissements d’enseignement de la médecine existaient déjà, organisés par le pouvoir local, par des médecins de marine (Inde) ou par des missions chrétiennes. A Tananarive, au lendemain de la pacification, une école est créée où sont admis les élèves de l’école de la mission chrétienne anglophone.
Il faut aussi rappeler qu’en cette fin de XIX° siècle, en Europe et en France en particulier, la médecine est souvent exercée par des auxiliaires et des sous gradués, aux études vagues et parfois modestes, dont les titres sont officiers de santé, ou chirurgien auxiliaire. Le doctorat d’État devient obligatoire en 1885.
Outre-mer, le plus souvent, l’école de médecine indigène est créée dans la capitale du territoire, au voisinage immédiat si ce n’est dans les murs de l’hôpital. Après quelques années, une section pharmacie est ouverte. Le recrutement se fait au niveau du brevet élémentaire et une première année de "préparation spéciale" se déroule dans un lycée. La validité du diplôme délivré en fin d’études est uniquement locale.
Plus tard, à partir des années 1950, recrutant des bacheliers, l’enseignement devient universitaire ; l’école de médecine est jumelée avec une faculté française : trois premières années outre-mer et les années suivantes dans la faculté jumelle. Le diplôme est délivré par la faculté française. C’est un doctorat français. Des enseignants universitaires français prennent la relève du Corps de santé colonial. Mais une collaboration étroite s’instaure et des médecins et pharmaciens coloniaux, après avoir passé avec succès les concours universitaires d’agrégation, sont intégrés dans le corps professoral de ces établissements.
Enfin, après l’indépendance, l’école de médecine s’émancipe totalement et délivre ses propres diplômes de doctorat mais sans validité "de plein droit" en France. Les diplômes nationaux délivrés permettent cependant de suivre des spécialisations à l’étranger au même titre que les mêmes diplômes des facultés françaises. C’est une faculté nationale avec des enseignants nationaux, fonctionnant sur le modèle français.
Avec le recul, on peut parfois regretter, que ces facultés, notamment en Afrique noire, n’aient pas conservé l’approche pragmatique que le Corps de santé colonial avait imprimée aux écoles indigènes.
LA RÉPARTITION DES ÉCOLES
1 : L’Inde
Le traité de Paris, en 1763, ne laisse à la France que cinq comptoirs. Les médecins de la marine et les chirurgiens de la Compagnie des Indes ne tardent pas à former des collaborateurs autochtones.
En 1816, au sortir d’une occupation anglaise de 27 ans, arrivent à Pondichéry, avec le nouveau gouverneur français, trois médecins et un pharmacien militaires. L’effectif restera numériquement le même jusqu’en 1964. Ils veillent sur la garnison et les civils français tandis que les autochtones sont confiés à des praticiens traditionnels, les "mestrys". Ceux-ci vont être initiés à la vaccination antivariolique et recevoir des rudiments de médecine européenne. Autour de 1850, deux chirurgiens de la marine, Collas à Pondichéry et Godineau à Karikal, se consacrent tout particulièrement à la formation des auxiliaires indiens.
En 1863, s’ouvre l’école de médecine de Pondichéry, la plus ancienne des écoles françaises de médecine, outre-mer. Destinée à former des officiers de santé et des vaccinateurs. Outre les médecins et pharmaciens militaires, le corps enseignant compte des missionnaires naturalistes et des mestrys. En 1905, une section pharmacie est ouverte.
Peu peuplés, les comptoirs n’avaient pas besoin de gros effectifs. Les étudiants en médecine étaient environ cinq par promotion avec pour corollaire un excellent niveau de formation ; certains diplômés ont pu se perfectionner ensuite en Europe ou à Madras. Le premier docteur en médecine pondichérien est Paramawanda Mariadassou (1870-1947). Esprit brillant et érudit, il enseigne la médecine traditionnelle et à partir de 1906, rédige plusieurs monographies de grand intérêt.
En 1954, les Établissements français, avec l’accord de la métropole, sont rattachés à l’Inde. L’école de Pondichéry continue à fonctionner en langue française avec des médecins et pharmaciens du Corps de santé colonial. En 1958, rattachée à l’université de Madras, l’école est remplacée par un "médical college" bilingue. La partie française est assurée par trois professeurs d’université venant de France, en mission. Les promotions passent de cinq à trois cents étudiants. Peu à peu, disparaît l’influence française tandis que l’établissement s’intègre tout naturellement dans le dispositif indien.
2 : La Chine
Dès qu’elle s’ouvre à l’Occident, au terme de la "guerre de l’opium" (1841), la Chine accueille dans les légations et postes français, des médecins pour la plupart militaires : marins et plus tard coloniaux. Ambassadeurs de la médecine occidentale, ils sont de remarquables agents du rayonnement français et doivent animer des écoles de médecine dont les deux plus importantes sont celles de T’ien-Tsin et de Chang-Haï.
L’école de T’ien-Tsin
Une école de médecine est créée non loin de Pékin, à T’ien -Tsin en 1881, par le vice-roi Li Hong Tchang. L’établissement et l’hôpital attenant fonctionnent à l’occidentale. Aucun enseignant français n’est alors disponible. En 1897, un médecin de marine, A. Depasse, bien en cour auprès du vice-roi qu’il a guéri d’une grave blessure, remplace un collègue anglais et prend la direction de l’école. Des médecins de la marine puis des troupes coloniales étoffent le corps enseignant. En particulier, G. Mesny* s’illustre dans la lutte contre les épidémies. Il meurt de la peste en 1911. L’établissement disparaît avec la chute de la dynastie mandchoue et la révolution de 1911.
A cette époque de "légations et concessions étrangères", la France occupe une place éminente à Pékin où elle ouvre, entre autres, une "école des chemins de fer". Sans être des enseignants, de nombreux médecins, marins et coloniaux assurent, par leur activité professionnelle, le rayonnement de la médecine française.
L’école de Tch’eng-Tou
Dans le nord-ouest du pays, dans le Se Tchouan, l’école de médecine impériale ouvre ses portes à Tch’eng-Tou, vers la fin du XIX° siècle. Elle est destinée à former des médecins militaires. A.F. Legendre* est l’un des premiers directeurs. Une mission médicale française permanente, comptant de nombreux médecins militaires, sera maintenue dans cette école jusqu’en 1927.
L’université AURORE de Chang-Haï
Dans ce grand port cosmopolite, un sommaire hôpital de la marine est édifié par les Français vers 1860. Plusieurs médecins français continuent d’exercer à Chang-Haï jusqu’à la seconde guerre mondiale.
L’université Aurore est fondée en 1903. Ricou* ouvre la section médecine en 1912 et les premiers diplômés sortent en 1917. Les plus connus parmi les premiers enseignants sont Sibiril*, Brugeas* et Allary*. La jeune faculté reçoit en France le soutien des universités de Paris et de Lyon. Le niveau des études est élevé et la qualité des services rendus par les médecins chinois est largement reconnue. La faculté diffuse dans tout l’Extrême-orient un bulletin bilingue, en français et en chinois.
Malgré l’occupation japonaise de 1945, l’enseignement se poursuivra, notamment avec Chardronnet* et Taillard*. En 1948, elle compte 290 étudiants et décerne une moyenne de 25 diplômes par an.
L’université Aurore sera fermée à l’arrivée des troupes communistes de Mao Tsé Toung.
En 1938, Noël Bernard* inaugure l’institut Pasteur de Chang-Haï dont le directeur est Raynal*.
L’enseignement et la recherche ! Ces deux établissements vont représenter la médecine française jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
L’école de Canton.
Au sud du pays, à Canton, après l’ouverture de l’hôpital Paul Doumer en 1903, dans l’îlot de Chemeen, une école de médecine est créée. Plusieurs coloniaux participent à l’enseignement, notamment L. Sanner*, Talec* et surtout Ringenbach*.
Enfin, mention peut être faite, dans la vieille cité impériale de Pékin, capitale de la Chine mandarinale, de l’hôpital français dont F. Blanc*, agrégé du Pharo, fut le médecin-chef de 1936 à 1939.
3 : L’Indochine
L’empire d’Annam avait, avant l’arrivée des Français, son école de médecine qui dispensait, à Hué, un enseignement traditionnel, loin des normes occidentales.
En 1888, E. Boinet, agrégé des facultés de médecine françaises, servant en Indochine à titre militaire, crée à Hanoi un établissement privé, connu sous le nom de "petite Faculté tonkinoise".
Bientôt, Paul Doumer envisage l’implantation à Saigon (possession française depuis 1863) d’une école de médecine officielle. Finalement, c’est au Tonkin, à proximité d’Hanoï, que s’installe l’établissement. Il est inauguré le 27 janvier 1902 et placé sous la direction de Yersin*. Quelques années plus tard, il est transféré en pleine ville, à l’emplacement qu’occupe encore aujourd’hui la faculté de médecine.
Les élèves viennent du Tonkin, de l’Annam et de la Cochinchine mais également du Cambodge et plus tard du Laos. Quant aux enseignants, ils appartiennent en quasi totalité au Corps de santé colonial. En 1904, l’établissement porte le nom d"école de médecine de l’Indochine", puis en 1919, celui d’école supérieure de médecine et pharmacie", la section pharmacie ayant été créée en 1914.
En dehors des trois filières classiques : médecins, pharmaciens et sages-femmes auxiliaires, qui seules subsisteront, d’autres sections sont temporairement ouvertes : aides médecins militaires, médecins et pharmaciens chinois, etc. Les médecins et pharmaciens auxiliaires, parfois dénommés "officiers de santé" ou "médecins et pharmaciens indochinois" se font très rapidement apprécier par l’administration et la population. L’un des plus brillants fut Nguyen Van Tinh (1888-1946) qui poursuivit des études à la faculté de médecine de Paris et devint le président du Conseil de la première République de Cochinchine.
A partir de 1936, commence la transformation en établissement universitaire, les premiers diplômes de doctorat étant délivrés par la faculté de Paris. En 1941, la faculté mixte de médecine et de pharmacie de l’Indochine est créée et le Corps de santé colonial participe aux enseignements (Huard*, Rivoalen*).
En plus de cette maison mère, trois autres établissements ont été créés avec une forte implication du Corps de santé colonial :
– A Saigon, une "école d’assistants de médecine sociale", comparable aux autres écoles de médecine indigènes est créée, en Cochinchine, en 1941. Dès 1945, l’évolution se fait vers une faculté de médecine et pharmacie dépendante de celle de Hanoi, ensuite, à partir de 1954, entièrement autonome.
– A Phnom Penh, sur les conseils d’A. Riche*, le Roi du Cambodge crée en 1946 une "école des officiers de santé". Comme ailleurs, direction et enseignement sont assurés par des coloniaux. L’établissement devient, en 1953, l’école royale de médecine , puis, en 1955, une faculté parrainée au début par l’université de Paris. Pendant quelques années, les deux filières de formation coexistent.
– A Vientiane, une école royale de médecine est créée en 1957. Placée sous la direction de J. Laigret*, elle est destinée à former des médecins assistants. Plus tard, en 1965 sont ouvertes des sections de pharmaciens et dentistes-assistants et en 1967 de mécaniciens-dentistes. Les médecins coloniaux sont nombreux dans le corps enseignant et assurent la direction. En 1960, un directeur laotien est nommé, mais le directeur des études reste un médecin colonial. En 1969, est institué un cycle de doctorat activement soutenu par l’université de Lyon. Les 9 premiers diplômés sortent en 1976. Cette année là, dernière année de la coopération française, l’école royale de médecine comprenait 343 étudiants et 63 professeurs, chargés de cours et assistants, dont 32 laotiens, 24 coopérants civils et 7 médecins coloniaux.
4 : Madagascar
Au lendemain de la conquête de Madagascar, en septembre 1896, 43 élèves médecins suivent l’enseignement d’une école de médecine créée, en 1880, par une mission protestante anglaise : la "Médical missionary academy" qui ferme alors ses portes.
Le général Galliéni, résident général, crée le 16 Décembre 1896, sur proposition de Clavel*, directeur du service de santé, l’école de médecine de Tananarive. Le support hospitalier est l’hôpital indigène d’Ankadinandriana.
Les débuts sont laborieux car les étudiants ne parlent pas le français et des traducteurs sont nécessaires. A l’ouverture le directeur est Mestayer* et le professeur principal est Jourdran*, ancien interne de hôpitaux de Bordeaux. Le corps enseignant comprend deux médecins et deux pharmaciens coloniaux ainsi qu’un médecin malgache, Rasamimanana, ancien élève de l’école de santé militaire de Lyon.
Les élèves sont recrutés par concours au sortir de l’école Le Myre de Villiers et de quelques institutions privées. En 1903, est prise, pour la première fois, la décision de lier par contrat les diplômés autochtones et l’administration coloniale, ce qui sera une règle générale pour les écoles de médecine indigènes à venir. Les émoluments sont revus à la hausse et l’obligation est faite d’exercer à plein temps une médecine gratuite pour les autochtones. Jusqu’à la fermeture de l’école en 1976, le Corps de santé colonial assure l’essentiel de l’enseignement et la direction.
Comme pour les autres "écoles indigènes", l’objectif est de former des "médecins auxiliaires", destinés à l’AMI. Le diplôme, certificat d’aptitude de "praticien indigène", a valeur administrative mais non universitaire. En janvier 1929, l’école et l’hôpital sont transférés dans les nouveaux bâtiments de Befelatanana qui de nos jours, reste un hôpital universitaire.
D’emblée, le succès est éclatant. Au premier janvier 1905, en huit ans, le diplôme de fin d’études est décerné à 58 médecins (cinq ans d’études) et à 39 sages-femmes. En 1964, peu après l’indépendance, sur 608 praticiens exerçant dans la Grande Île, plus des deux tiers (439) ont été instruits sur place. Au 1er janvier 1970, l’école avait formé 1233 médecins, 72 dentistes, 37 pharmaciens et 34 aides anesthésistes. Environ 180 médecins malgaches ont pu compléter leurs études et obtenir le doctorat en médecine.
En 1961, une faculté de médecine et pharmacie est ouverte à Tananarive. Pendant quinze ans, sur décision du gouvernement malgache, les deux filières de formation coexistent. L’école est fermée en 1976.
5 : L’Afrique noire
Pour seconder les médecins coloniaux par des auxiliaires plus qualifiés que les infirmiers, la métropole a d’abord recours aux "aides médecins indigènes". Leur corps est créé en 1906 par Roume, gouverneur général de l’AOF. En vertu d’un arrêté fédéral, dans chacune des colonies, les postulants sont recrutés parmi les infirmiers et les élèves du niveau du certificat d’études primaires. Formés en trente mois dans l’hôpital de la capitale de la colonie, selon un programme fixe, ils sont ensuite affectés et font carrière dans les services publics de l’assistance médicale indigène.
Plus tard, les taux de scolarisation et le niveau d’instruction s’étant élevés, il apparaît judicieux de créer une école de médecine.
Objet du décret du 14 janvier 1918, l’école de médecine de l’AOF ouvre ses portes, à Dakar, le 1er novembre 1918, sous la direction d’A. Le Dantec* qui est en même temps directeur de l’hôpital Indigène. L’école qui, pendant un temps, prend le nom de Jules Carde, cesse de fonctionner en juillet 1953, Le Dantec* étant le parrain de la dernière promotion. Durant toute cette période, la quasi-totalité des enseignants appartient au Corps de santé colonial. A partir de 1927, date de la création des concours internes, les chefs de service sont des agrégés du Corps. Quant aux directeurs, à la suite de Le Dantec*, ce sont tous des médecins coloniaux, les derniers étant Dejou*, Bergeret* et Sohier*.
Les élèves viennent des écoles normales de chaque territoire de l’AOF. Ils se retrouvent à l’école normale fédérale, sise d’abord à Saint Louis, puis à Gorée, enfin à Sébikotane, près de Dakar, sous le nom d’école William Ponty. Après deux années de tronc commun avec les futurs instituteurs et les futurs commis d’administration, un concours sélectionne les élèves-médecins et pharmaciens. Ceux-ci suivent sur place une année de sciences fondamentales avant d’intégrer l’école de médecine. Après la réforme de 1944, l’école forme également les personnels originaires de l’AEF, du Cameroun et du Togo et destinés à y servir. Les premiers viennent de l’école normale Edouard Renard de Brazzaville.
Il existe 4 sections : médecine (4 ans d’études), pharmacie et sages-femmes (3 ans d’études) et vétérinaire (3 ans d’études) transférée plus tard à Bamako. Le recrutement est très sélectif. Les promotions varient de 8 à 33 élèves. Destinés exclusivement à la fonction publique, les diplômes sont une qualification administrative et n’ont pas de valeur de diplôme d’État. A la sortie de l’école, les lauréats reçoivent le titre de médecin ou de pharmacien… auxiliaires. Après la Conférence de Brazzaville, en 1944, le qualificatif adopté est : "africain"
A la fermeture, en 32 promotions, l’école a formé 582 médecins, 87 pharmaciens et 447 sages-femmes. Pépinière d’élites, elle a fourni de futurs chefs d’État ou de gouvernement, des ministres, des parlementaires. Le plus illustre d’entre eux est Félix Houphouët-Boigny, major de la promotion 1925.
Au lendemain du Second Conflit mondial, les bacheliers sont nombreux et la formation médicale franchit le dernier palier. A partir de 1950, elle relève de l’université et de l’éducation nationale française. Les diplômes délivrés sont des diplômes d’État. L’école préparatoire de médecine et pharmacie de Dakar, destinée à toute l’Afrique noire francophone, assure les trois premières années d’enseignement, les trois suivantes se déroulant en métropole, à Bordeaux essentiellement. Cet établissement devient, en 1958, école nationale de médecine et pharmacie et, en 1960, une faculté délivrant des diplômes de pleine équivalence avec les diplômes français. Les médecins et pharmaciens coloniaux se trouvant sur place, jouent un rôle important dans les débuts de cet enseignement universitaire, en tant que chargés de cours ou vacataires. Plusieurs d’entre eux sont reçus à l’agrégation des universités françaises (une vingtaine entre 1950 et 1975). Leurs élèves africains, parmi lesquels des anciens de l’école de médecine africaine, passent à leur tour les concours d’agrégation et assureront la relève.
6 : Le Cameroun
Devenu en 1920 territoire sous mandat français, le Cameroun ne dispose à cette date ni d’aides médecins, ni de médecins auxiliaires. De plus, la langue parlée est l’allemand et il faut attendre les progrès de la scolarisation pour entreprendre des formations professionnelles. E. Jamot* crée en 1932 l’école des aides de santé d’Ayos. Elle ferme ses portes en 1945, les élèves en cours de formation étant transférés à l’école de médecine et pharmacie de Dakar. Ils deviennent médecins africains et certains passeront plus tard le doctorat.
Formés loin de la grande ville, ces auxiliaires autochtones sont surtout destinés à exercer en zone rurale dans le dispositif de la lutte contre la maladie du sommeil.
Parallèlement à cette formation, le centre d’Ayos prépare des infirmiers polyvalents dits du cadre local, recrutés avec le certificat d’études primaires. Cette école d’infirmiers est maintenue après 1945, les niveaux s’élevant progressivement et les formations se diversifiant : diplômes d’État d’infirmier, d’infirmier accoucheur, de sage-femme. Les enseignants comptent jusque dans les années 1970 des médecins coloniaux.
Quant à l’enseignement universitaire, il est implanté plus tard à Yaoundé, au sein d’un ensemble original parrainé par l’Organisation mondiale de la santé, le centre universitaire des sciences de la santé.
L’ENSEIGNEMENT
Ces créations d’écoles de circonstance, "libres" puisque totalement indépendantes des institutions universitaires, non reconnues par elles, d’emblée suscitent d’emblée des critiques, dans les deux sens… bien évidemment. Pour les uns, il aurait été préférable de copier directement l’université française et de délivrer à la sortie un diplôme équivalent à celui du doctorat métropolitain. Pour d’autres, il serait imprudent de confier la santé des populations à des professionnels recrutés après le brevet et dont la formation avait été aussi courte. En fait, le problème n’était pas celui du niveau de l’école de médecine mais celui de l’instruction publique. En effet, la scolarisation des populations indigènes a évolué beaucoup pendant cette période.
Prenons le Sénégal. En 1918, à l’ouverture de l’école de médecine, il y a deux lycées dans le pays, à Saint Louis et à Dakar, les deux seuls de l’Afrique noire française, et le taux d’alphabétisation est faible. En 1953, quand l’école africaine de médecine cède sa place à une faculté, il y a une école primaire dans chaque village et au moins un lycée dans chaque chef-lieu de région. La même évolution est retrouvée ailleurs.
Parallèlement à cette progression, le niveau dans l’enseignement public s’élève tant il est vrai que le niveau des élèves conditionne le contenu des programmes et les exigences de l’enseignant. De sorte qu’après la Seconde Guerre mondiale, le niveau des lycées et donc de ces écoles de médecine est comparable à celui des mêmes établissements de métropole et que le changement d’intitulé n’entraîne aucune difficulté.
La preuve en est apportée quand, après 1950, "les médecins indochinois, africains et malgaches" qui le désirent peuvent profiter de dispositions transitoires pour acquérir le diplôme de docteur en médecine français ou de docteur d’université. Les même avantages sont offerts aux étudiants des écoles de Pondichéry, Phnom-Penh et Vientiane. Presque tous utilisent cette opportunité et passent brillamment ces épreuves. Mieux même, sur cette lancée, certains d’entre eux entament des carrières universitaires dont quelques unes sont couronnées par l’obtention de l’agrégation française de médecine ou de pharmacie. On ne peut donc dire que leur niveau de recrutement était trop faible ni que la formation qu’ils ont reçue des médecins du Corps de santé colonial était "au rabais".
L’objectif de cette formation vise à insuffler aux élèves l’esprit de la médecine scientifique. Il faut enseigner les faits et non des mots. Les salles de cours et les laboratoires de formation sont dans le périmètre de l’hôpital. Cette unité de lieu fait de ces écoles des centres hospitalo-universitaires (CHU) avant la lettre.
Loin des contraintes et des traditions de l’université, dès l’ouverture, l’enseignement est orienté vers la pratique, médicale ou pharmaceutique. L’équipe enseignante est en nombre restreint et exerce une médecine de même nature que celle que les étudiants seront appelés à exercer. Ce n’est pas le spécialiste de dermatologie ou d’endocrinologie, par exemple, qui enseigne sa spécialité. C’est le professeur de médecine générale qui enseigne la dermatologie ou l’endocrinologie nécessaires à un exercice de généraliste. C’est le même qui fait les enseignements théoriques et qui reçoit dans son service hospitalier les étudiants en stage. L"enseignement intégré" n’a jamais été porté à un tel degré. Le cours est le plus souvent fait au lit du malade. Il n’est pas nécessaire de projeter des diapositives ; l’illustration du propos est là, sous les yeux de l’étudiant.
La pathologie observée à l’hôpital d’instruction de l’école est celle que l’élève rencontrera tous les jours, à savoir la lèpre, le paludisme, la trypanosomiase, les dysenteries et autres maladies tropicales.
On assiste même à des expériences pédagogiques révolutionnaires pour l’époque et qui font, aujourd’hui, figure de grande modernité : en 1932-1933, à Dakar, l’enseignement d’amphithéâtre est supprimé et remplacé par un enseignement au lit des malades. Le contrôle des connaissances se fait par interrogations sur dossiers de malades préparés par des élèves ayant pratiqué eux-mêmes les examens complémentaires utiles. On ne peut imaginer une formation plus pertinente.
La formation médicale continue est inventée dans ces écoles, dès le début du siècle. Le médecin auxiliaire peut, après concours, revenir au centre hospitalier attaché à l’école pour y suivre un stage de "ressourcement". S’il en remplit les obligations, il est promu au grade de "médecin principal".
Pour en savoir plus :
– Bigot A. : La médecine française à Pondichéry aux XVIII° et XIX° siècles. 91ème Congrès des Sociétés savantes. Volume des rapports. Rennes 1966.
– Brau P. : Trois siècles de médecine coloniale française. Un vol., 207 p, 1931, Paris, Vigot frères éditeurs.
– Dejou L. : L’École africaine de médecine et pharmacie de Dakar. 25 p. ronéotypées. Ministères des Colonies 1950.
– Galliard H. et Huard P. : Les débuts de l’enseignement de la médecine occidentale au Vietnam. Presse médicale, Novembre 1967.
– Brygoo E.R. : Les débuts de l’enseignement médical à Madagascar. Un siècle d’expérience. Bull. Acad. Malg. 1971,49/1.