Au début du vingtième siècle, les taux de mortalité maternelle et de mortalité infantile sont catastrophiques dans les pays tropicaux. Des références culturelles n’incitent pas à une demande de soins dans ce domaine alors que, par ailleurs, l’intervention des médecins du Corps de santé colonial est vouée en priorité à la lutte contre les grandes endémies.
Après la guerre de 1914-1918, la protection des mères et des enfants (PMI) est mise au point. Elle repose sur la formation et la participation de collaboratrices autochtones, en premier lieu des sages-femmes, mais aussi des infirmières-visiteuses qui, allant à domicile au devant des femmes enceintes, assurent le lien avec les structures de santé. En outre, surtout en milieu rural, les accoucheuses traditionnelles ou matrones reçoivent, aussi souvent que possible, une formation et sont soumises à des contrôles. Un service de protection de la maternité et de l’enfance indigène s’individualise.
Après 1950, la PMI se modernise. Des centres sont créés dans les villes, des personnels compétents y sont affectés. La protection des mères et la protection des enfants enregistrent des progrès importants. Le programme élargi de vaccinations initié par l’OMS renforce ces résultats. Au moment des indépendances, des dispositifs adaptés sont en place.
LE TAUX DE MORTALITÉ MATERNELLE
En l’absence de statistiques globales, les nombreuses enquêtes fragmentaires sont toutes concordantes : la mortalité maternelle est très élevée (Lefrou* pour la période 1921-1930, à Saint Louis du Sénégal, Heckenroth* en 1929 à Dakar et pour l’ensemble des colonies françaises, Thiroux en 1931, Sorel*, Martial* et Beaudiment* en 1939). Au début du XX° siècle, son taux est inchiffrable car la quasi-totalité des accouchements se fait hors de tout contrôle d’état-civil ; à la fin du siècle, elle est évaluée à 30 fois celle que l’on observe en Europe.
Les principales causes de décès sont l’excessive jeunesse des mères, souvent anémiées et carencées et les complications de l’accouchement, essentiellement surinfections et hémorragies, dues à des conditions défectueuses de surveillance.
LE TAUX DE MORTALITÉ INFANTILE
En Afrique de l’Ouest, encore en 1960, les statistiques prénatales donnent, pour 100 grossesses, 80 à 85 enfants nés-vivants.
La connaissance des taux de mortalité infantile (proportion de décès au cours de la première année par rapport à 1 000 enfants nés-vivants) est relativement récente car la fiabilité de leur valeur est liée à l’établissement d’un état-civil rigoureux, ce qui n’est pas le cas jusqu’à ce que les équipes des grandes endémies l’établissent elles-même, soit à partir de 1925 en AEF et de 1939 en AOF.
Quand M.E. Farinaud*, en 1938, entame la première campagne de prévention antipalustre sur les Plateaux-Montagnards du centre d’Indochine, il consacre la première année à établir un état-civil qui lui permet de chiffrer la mortalité infantile à 310 pour 1 000. Vingt ans plus tard, dans une région de Haute-Volta aussi fortement impaludée, Raba* la chiffre à 130 pour 1 000. A la même époque, elle est en France de 27 pour 1 000.
Ce taux de mortalité infantile est sans grande signification dans les pays tropicaux. Les agressions majeures que subit l’enfant se situent également dans sa deuxième année alors que les immunités transmises par la mère ont disparu. Le taux de mortalité y est de même grandeur que la première année. Le paludisme en est le grand responsable et Farinaud* lui attribue, dans une zone d’hyperendémie, 80 % de ces décès.
En 1957, en Haute-Volta, au terme d’un enquête portant sur 4 528 naissances en pays Lobi, Mazer* démontre les méfaits d’un sevrage précoce. Lorsque survient une nouvelle grossesse chez une mère allaitante, priver prématurément le nourrisson du lait maternel et le livrer à l’alimentation familiale a souvent valeur d’arrêt de mort. Dans 15 % des naissances, l’enfant a dû être sevré avant l’âge de 10 mois, ce qui a eu pour effet de tripler la mortalité avant l’âge de deux ans par rapport aux enfants allaités pendant plus de 18 mois. Peut-on mieux montrer l’intérêt d’espacer les naissances ? Ce sera l’une des missions des intervenants en protection infantile que de convaincre les couples de cette réalité.
LES RÉFÉRENCES CULTURELLES
La grossesse et la venue au monde d’un enfant sont au cœur de toutes les cultures. Chaque société a ses rites et ses superstitions, ses règles et ses interdits vis à vis de la femme enceinte, des soins au nouveau-né, de la destination du placenta, du régime alimentaire de la mère et de l’enfant.
En 1939, Giordani* écrit : "La grossesse étant considérée comme un état normal, l’indigène de nos colonies ne comprend pas que l’activité de la femme soit diminuée pendant cette période, pas plus qu’il ne comprend la nécessité de l’assistance d’un médecin au moment de l’accouchement".
Dans les colonies françaises, le recours aux maternités et aux consultations pré et post-natales est, dans les années 1930, variable d’un pays à l’autre et même d’une ethnie à l’autre. Au Niger, la population musulmane refuse de confier à un médecin européen le soin d’examiner les femmes enceintes et de les accoucher. En Côte française des Somalis, l’Islam "défend aux femmes de se montrer aux étrangers" durant la grossesse et les quarante jours qui suivent l’accouchement car les esprits malfaisants sont à l’œuvre. Ni la mère, ni l’enfant, ne doivent sortir de leur domicile pendant ce laps de temps… A Pondichéry, pour les musulmans comme pour les brahmanes, un homme est déshonoré si son épouse va accoucher dans une maternité. A cette époque, dans les maternités du Laos, sur mille accouchements, les Laotiennes sont en "nombre infime", neuf sur dix des accouchées sont des Annamites.
Les concours du "plus beau bébé" organisés par la Croix Rouge en 1933 à Dakar et dotés de prix attirent les animistes mais pas les musulmans qui sont convaincus "qu’être primé porte malheur à l’enfant".
L’ORGANISATION DE LA PROTECTION
Selon un rapport de Bouffard* en 1930 portant sur la Côte d’Ivoire, l’administration accorde une grande attention à la protection de la mère et de l’enfant. Le dispositif comprend plusieurs niveaux :
– Dans tous les centres urbains, capitales de fédérations ou de colonies, dotés d’un hôpital, sont implantées des maternités bien équipées avec leurs trois activités de base : consultations pré et post-natales, accouchements avec possibilités d’interventions chirurgicales et consultations des nourrissons.
– Dans les autres agglomérations du type chef-lieu où se trouvent un médecin et une sage femme, il est prévu un "dispensaire-maternité". En plus des accouchements, des consultations pré et post-natales sont organisées pour les mères et pour enfants. La formation dispose d’une infirmière-visiteuse.
– Dans les zones rurales, relevant d’un poste médical tenu par un infirmier, le médecin ou la sage-femme du chef-lieu effectuent des tournées régulières. Ils prennent contact avec les matrones rurales afin de les former et de les superviser.
– L’inspection médicale des écoles complète le programme permettant de déceler les maladies transmissibles de l’enfance ou les grandes endémies sévissant dans la région. Les élèves des écoles de médecine participent à cette activité.
– Mention est toujours faite dans les rapports officiels des "oeuvres privées", précieux compléments de l’action administrative. Les unes sont laïques telles la Croix Rouge et ses filiales, ici "Goutte de lait", là "Berceau africain", préoccupées essentiellement de puériculture (pesées, distribution de lait, savon, vêtements…) et limitant leur action aux villes. Les autres sont confessionnelles chrétiennes, présentes jusque "dans les villages les plus reculés". Ces oeuvres privées sont souvent subventionnées par le gouvernement et, en Indochine, par les budgets municipaux et provinciaux. Enfin, dans plusieurs capitales, fonctionne un orphelinat dit "Foyer des métis" avec plusieurs dizaines d’enfants métis abandonnés.
Comme on le voit, l’objectif est ambitieux car les territoires sont vastes, les populations disséminées et parfois réticentes. Giordani* écrit en 1939 : "Nous ne contrôlons que 30 à 40 % des naissances déclarées dans la plupart de nos colonies". Rappelons qu’en France, à cette époque, la majorité des citadines et la quasi-totalité des femmes vivant à la campagne accouchent à domicile sous la surveillance d’une sage-femme.
LES SAGES-FEMMES
Dans l’empire colonial, les sages-femmes européennes, lorsqu’elles ne sont pas contractuelles, servent en qualité de "sages-femmes coloniales", recrutées par le ministère des Colonies. Elle sont peu nombreuses, destinées surtout à la population européenne, elles servent seulement dans les hôpitaux car, au début, les femmes européennes sont rares et résident dans les grands centres.
En 1939, pour toute l’AOF, soit 10 à 12 millions d’habitants, elles ne sont que dix dont 4 au Sénégal et 3 en Côte d’Ivoire. Plusieurs colonies de la fédération n’en comptent pas une seule. On en trouve aussi deux en Indochine et une à Madagascar.
L’arrivée des sages-femmes autochtones marque un tournant. A titre d’exemple, l’école de sages-femmes de Dakar ouvre ses portes en 1920 et les premières arrivent en 1923 en Côte d’Ivoire. Cinq ans plus tard, en 1928, elles sont seize et les trois quarts des cercles en sont pourvus. En 32 promotions, l’école de Dakar forme 447 sages-femmes. Les appréciations de Bouffard* sont élogieuses : "Ces jeunes femmes ou jeunes filles sont parfaitement à la hauteur de la tâche qui leur est demandée". L’objectif est d’en affecter une dans chaque chef-lieu de cercle où est implantée une maternité.
LES INFIRMIÈRES - VISITEUSES
Cette originale catégorie de personnel a été utilisée seulement en AOF et à Madagascar, à partir des années 1930. D’un niveau intermédiaire entre les infirmières et les sages-femmes autochtones, elles sont formées à l’école des sages-femmes de Dakar et de Tananarive. Cette filière nouvelle fonctionne pendant une quinzaine d’années. Vouées davantage à la puériculture et à la prévention plus qu’au traitement des malades, elles servent de "trait d’union entre la maternité et la population". Elles n’ont place ni dans la salle de travail ni dans les chambres de la maternité. Leur rôle est d’approcher les familles, d’avoir des entretiens avec les futures mères, de contrôler le nombre et la qualité des accouchements faits par les matrones, de diriger les nourrissons malades vers les dispensaires, de donner des conseils de régime aux jeunes mamans... Elles sont les précurseurs des "éducateurs sanitaires".
A travers ces personnels, on retrouve bien la double composante de mobilité et de proximité qui caractérise les actions de masse du Service de santé colonial. Pour faciliter leurs déplacements, notamment au Sénégal, ces agents seront pourvus de bicyclettes.
Malgré ses succès, cette pratique n’a pas été étendue aux autres territoires français. En AOF même, peut être parce que les femmes sont devenues moins réticentes pour se présenter aux consultations, le recrutement des infirmières-visiteuses s’arrête dans les années 1940.
En 1953, une circulaire gouvernementale crée en AOF un corps d’assistantes et auxiliaires sociales pour le Service médico-social de PMI. Les tâches suivantes lui sont confiées : "Effectuer des visites à domicile, suivre les malades, dépister les nouveaux et les diriger vers les centres de consultation ou de vaccinations". Mais, leur principale activité reste l’éducation des mères, en particulier pour l’alimentation des enfants. Elles prennent la relève des infirmières-visiteuses.
Le Corps de santé colonial est l’inventeur de la "pédiatrie sociale", celle qui dépasse le cas individuel et privilégie le problème collectif où le préventif prime le curatif.
LES ACCOUCHEUSES TRADITIONNELLES ou MATRONES
Depuis les temps immémoriaux, partout dans le monde, les matrones exercent leur profession au vu et au su de toute la collectivité où elles bénéficient de reconnaissance et de considération. Parfois cette place représente une sorte de charge héréditaire. Le colonisateur français, après contrôle de leurs aptitudes, décide d’inclure les matrones dans le dispositif officiel, tout en se gardant d’en faire des salariées.
Dans les années 1930, en Afrique, cette formation des matrones figure parmi les priorités de l’obstétrique en zone rurale. Ces personnels suivent, à la maternité la plus proche, un stage dont la durée varie selon les colonies de deux à six mois. Ensuite, retournées dans leur village ou leur quartier urbain, elle restent sous le contrôle de la sage-femme et de l’infirmière-visiteuse qui les ont formées. Un système de primes, fonction de leur activité et de ses résultats, permet de les encourager à utiliser les connaissances acquises. Elles peuvent recevoir en prêt une trousse d’accouchement (ciseaux, pinces, compresses, collyre…). Plus tard, l’UNICEF participe à ces dotations. Les matrones opèrent au domicile de la parturiente ou dans une case d’accouchement lorsque les villageois l’ont construite.
En Indochine, les accoucheuses rurales portent en Cochinchine et au Tonkin le nom de "Bâ-mû". Elles sont très efficaces, leurs moyennes d’activité en 1939 étant respectivement de 187 et de 120 accouchements par an. Parmi les particularités locales, les "infirmières-accoucheuses" khmères de Cochinchine recrutées parmi les minorités cambodgiennes, suivent un stage de six mois validé par un examen, et ensuite vont exercer dans leur groupe ethnique.
Il faut préciser que ces matrones sont présentes dans les villes et même dans les grandes capitales dotées de cliniques obstétricales, publiques et privées. Ainsi, dans la mégapole de Dakar en 1960, le tiers des accouchements se fait encore à domicile avec l’assistance de matrones. Il est vrai que les "lits obstétricaux" sont en nombre insuffisant.
L’ÉVOLUTION DE LA PROTECTION MATERNELLE ET INFANTILE
– Le service de santé met en place des moyens importants. Giordani* en établit un instantané en 1939.
1) des formations sanitaires dont l’activité recouvre la PMI :
– 433 maternités dont 364 sont situés dans des hôpitaux et 69, pour la plupart en Indochine, sont des établissements indépendants.
– 158 dispensaires de puériculture dont 117 au Tonkin.
2) du personnel :
– 171 sages-femmes et 9 infirmières-visiteuses européennes.
– 925 sages-femmes et 187 infirmières-visiteuses autochtones.
Plusieurs milliers de matrones contrôlées exercent en milieu rural ou citadin.
L’activité de ce dispositif est considérable. Le Soudan en illustre bien l’efficacité :
– Le pourcentage des enfants prématurés est 8 fois plus faible quand la grossesse a été surveillée.
– De 1936 à 1939, le nombre des consultations prénatales a augmenté de 22 %, le nombre des accouchements assistés a augmenté de 27 %, le nombre de consultations infantiles a augmenté de 41 %.
– Autre exemple, pour l’AEF, d’après Robert* :
Consultations prénatales :
1935 : 1 516
1945 : 19 208
Accouchements contrôlés
1935 : 900
1945 : 8 000
Consultations enfants 0 à 2 ans
1935 : 31 980
1945 : 278 891
Après la Deuxième Guerre mondiale, la PMI est créée en France par l’ordonnance du 2 novembre 1945. Elle s’organise dans les colonies sur des bases nouvelles au début des année 1950. Elle n’est pas une reconduction du dispositif métropolitain. Au contraire, une circulaire datée de 1953, précise les différences surtout importantes en ce qui concerne les enfants. En France, la PMI se limite à la prévention et s’arrête à 6 ans, âge de la scolarisation obligatoire. Dans les colonies, la PMI doit prendre en charge tous les enfants jusqu’à six ans mais aussi tous les non-scolarisés entre 6 ans et 14 ans, c’est à dire la majorité des enfants.
Les activités de PMI doivent être, surtout en zone intertropicale, intégrées à la santé publique. La mère et l’enfant sont les composantes les plus vulnérables de la population. Le personnel en charge de ces activités est constitué de médecins et d’assistantes sociales. Les mesures de protection les plus efficaces ne sont pas de multiplier les centres de PMI mais de mettre en place, comme le propose Farinaud* en 1943 à Dakar, l’approvisionnement en eau potable, l’évacuation des matières fécales et la lutte contre le paludisme, trois mesures d’assainissement dont l’effet sera immédiat.
Le Corps de santé colonial crée en 1957 une spécialisation de pédiatrie. L’un des premiers pédiatres coloniaux, Guignard*, après avoir servi outre-mer puis dirigé la chaire de pédiatrie de Rabat, occupera le poste important de directeur du Centre international de l’enfance à Paris.
Les assistantes sociales sont au début en nombre très limité (une ou deux par colonie), secondées par des auxiliaires autochtones. Leur fonction n’est en rien bureaucratique. Bien au contraire, elles ont un rôle de terrain, par les visites à domicile. Elles prennent la relève des infirmières-visiteuses mais avec des compétences plus grandes.
L’ÉVOLUTION DE LA PROTECTION DES MÈRES
Le dispositif en place se développe grâce au soutien financier apporté par les organismes nationaux et, après la Seconde Guerre mondiale, internationaux, en particulier le fonds d’investissement pour le développement économique et social (FIDES).
La scolarisation des filles et l’alphabétisation des femmes progressant, de nouvelles maternités et des centres de PMI sont construits, les anciens sont rénovés, mais le décalage persiste entre la ville et la brousse, et même entre les colonies. Madagascar avec une école de sages-femmes très ancienne est plus en avance que l’Afrique noire et particulièrement l’AEF.
En même temps que le suivi obstétrical, les consultations maternelles dépistent les endémies.
Les jeunes mères sont particulièrement exposées à des complications infectieuses parmi lesquelles les infections puerpérales ont une particulière gravité. Les mauvaises conditions d’asepsie favorisent l’infection. Leur dépistage précoce et l’hospitalisation immédiate donnent de bonnes chances de guérison sans séquelles.
Une particularité inexpliquée est relevée par les médecins : la rareté chez les femmes autochtones des phlébites des membres inférieurs, assez fréquentes en Europe. Par contre, elles sont plus exposées à la thrombo-phlébite cérébrale. A Pondichery Guicheney* fait découvrir aux médecins de l’Union indienne la fréquence des phlébites cérébrales du post-partum dans leur pays. Il met en évidence le rôle décisif, alors controversé, de l’héparine dans la guérison des formes sévères de cette complication.
Dans les zones rurales, les matrones restent le seul recours possible. Sachant que le taux habituel de natalité chez les autochtones est de 50 pour 1 000, il apparaît qu’un quart seulement des grossesses sont contrôlées par le service de santé colonial. Aux premiers jours du XXI° siécle, les Organismes internationaux estiment ce taux à 50 %. La vitesse de développement du réseau médical n’atteint pas celle de la progression démographique. La formation et l’encadrement des matrones s’imposent.
A Nairobi en 1984, est lancée l’initiative "Maternités sans risques". Or, loin de se réduire, la mortalité maternelle dans le monde est passée de 400 000 à 600 000 en l’an 2000. La croissance démographique peut expliquer une partie de cet accroissement d’autant plus que 98 % de ces décès surviennent dans les pays tropicaux. Ces chiffres signifient que le chemin pour la suppression des risques est encore long.
L’ÉVOLUTION DE LA PROTECTION DES ENFANTS
La protection des enfants s’oriente vers deux axes de lutte : le péril nutritionnel et le péril infectieux.
– Le péril nutritionnel découle des observations faites sur la mortalité infantile. Privé des excellentes protéines et des vitamines du lait maternel, l’enfant sevré ne peut construire aucune immunité solide. Bergeret* à Dakar, dès 1948, insiste sur l’intérêt de l’adjonction de lait au régime de l’enfant sevré pour compenser la carence protidique et les carences vitaminiques. Plus tard, l’ORANA met au point des compléments alimentaires : farines de poisson, de soja, de tourteaux d’arachides… dont les composants sont disponibles sous les tropiques. Des tests d’acceptabilité sont réalisés en milieu hospitalier et dans des villages expérimentaux de la région de Dakar.
Ces études sont à l’origine de programmes d’alimentation supplémentée par des aliments enrichis en produits locaux et des formules de sevrage sont produites à l’échelle industrielle dans plusieurs pays par des agences des Nations unies, et, en particulier, par l’UNICEF. Ces produits sont distribués par les centres de PMI aux enfants des crèches, des jardins d’enfants, des écoles. Mais ils peuvent aussi être consommés à domicile. L’éducation nutritionnelle des mères combat une non-utilisation plus imputable aux interdits et erreurs alimentaires qu’à la pénurie de ces denrées. Des organisations privées participent à ces campagnes. Ainsi, en 1953, la "Goutte de lait" de Dakar assure la ration entière ou complémentaire de 250 enfants chaque jour.
– Le péril infectieux se traduit par les nombreuses infections digestives et respiratoires rencontrées. Il faut y ajouter les grandes endémies tropicales, les tréponématoses endémiques, la rougeole et surtout le paludisme. L’apparition de médicaments efficaces et surtout les vaccinations permettent d’endiguer ces affections.
DES DISPOSITIFS ADAPTÉS
- Dans les villes :
Des services modernes de PMI sont implantés dans les principales villes coloniales, après le second conflit mondial. Le plus beau fleuron est à Dakar et comprend trois branches :
– Un nouveau "centre de PMI", créé en 1953.
– Un "service ambulant de PMI" visite les dispensaires. L’équipe est composée d’une assistante sociale qui supervise les infirmiers et d’une sage-femme qui assure les consultations prénatales.
– Un service hospitalier, toujours de capacité insuffisante.
Après le création de l’université de Dakar, ce dispositif est confié à un universitaire, le Pr Sénécal, titulaire de la chaire de pédiatrie, qui lui donnera un renom international.
- Dans les zones rurales :
L’action en milieu rural est centrée sur trois axes : nutrition avec l’ORANA, vaccinations de masse et lutte contre les grandes endémies, le paludisme en particulier.
Les taux de fécondité totale passent en trente ans, en AOF, de 40-45 en 1930 à 50 pour mille en 1960. Les jeunes de moins de 20 ans composent plus de la moitié des populations actuelles de ces pays.
Cependant, il n’est d’action sanitaire qui vaille si elle ne s’inscrit dans la durée. Les populations des pays tropicaux doublent tous les 30 à 35 ans. Tant que persistera le sous-développement, on y trouvera des régions rurales déshéritées où les taux de mortalité infantile seront le double de ceux observés dans les villes, mieux équipées. Encore, dans celles-ci, faut-il prendre en compte la situation déplorable des "bidonvilles" et l’émergence des "enfants des rues".