L’expansion coloniale française et la création du Corps de santé colonial, à l’orée du XX° siècle, sont contemporaines des premiers travaux de S. Freud et des balbutiements d’une psychiatrie qui veut utiliser d’autres moyens que la ségrégation ou l’enfermement. La complexité de ses concepts explique la lenteur de leur pénétration dans les nouveaux territoires d’outre-mer.
On évoque d’abord, devant des désordres mentaux mal connus, le rôle de maladies tropicales. Les troubles psychiatriques observés chez les Européens suggèrent aussi l’influence du climat et des conditions de vie.
Chez l’autochtone, les liens entre culture et psychiatrie sont étudiés. Ils éclairent des comportements "incompris" des populations autochtones puis amènent, à la suite d’Aubin*, les psychiatres coloniaux à considérer comme originale l’expression clinique des troubles psychiatriques de ces populations.
Au niveau de la collectivité, l’assistance psychiatrique est mise en place sous la forme de l’époque, c’est à dire l’enfermement en asile. Dans la deuxième moitié du vingtième siècle, les conceptions changent avec la prise en compte de la culture traditionnelle dans les expressions comportementales. Collomb*, à Dakar est l’un des fondateurs de l’ethnopsychiatrie. Avec intelligence et modestie, il approche les guérisseurs africains et construit une doctrine qu’il met en application dans ses méthodes thérapeutiques et dans sa conception de l’assistance psychiatrique.
Mais tous ces pays, maintenant indépendants, sont en pleine mutation culturelle. L’approche de la pathologie mentale des Africains est appelée à subir d’autres évolutions.
L’EXPLICATION DES DÉBUTS TARDIFS ET DIFFICILES DE LA PSYCHIATRIE OUTRE-MER
Préoccupé d’abord par les grands fléaux microbiens, le corps de santé colonial n’aborde l’assistance psychiatrique que dans un second temps. Plusieurs causes sont responsables de ce retard :
– D’abord, la demande de soins de la part des autochtones est, dans ce domaine, moins pressante que dans d’autres branches de la médecine. La maladie mentale a sa place, ses explications, ses remèdes dans les mentalités et la culture des sociétés existantes.
– Ensuite l’offre de soins de la part des psychiatres occidentaux est freinée par leurs propres incertitudes sur la validité et, surtout, sur l’universalité de leurs concepts et de leurs pratiques. Il faut donc attendre que se développe une psychiatrie prenant en compte les éléments culturels. Cette discipline est communément désignée sous le terme d’ethnopsychiatrie. Kraepelin, dès 1904, à Singapour et à Java, Géza Roheim, sur la demande de S. Freud, dans les îles du Sud-Pacifique (1913), confirment "l’unité psychique" du genre humain. Mais, à l’évidence, le normal et l’anormal fluctuent d’un peuple à l’autre. Ce qu’exprime A. Béguin de nos jours : "On est fou pour une société donnée".
– Enfin, la différence linguistique fait obstacle pour des interrogatoires aussi minutieux que les tests de personnalité, la psychanalyse. Le recours à un interprète est bien aléatoire.
LES TROUBLES MENTAUX PROVOQUÉS PAR DES MALADIES TROPICALES
La première des maladies mise en cause est le paludisme, omniprésent outre-mer. Au cours du XIX° siècle, de nombreux auteurs lui attribuent des cas de "folie", d’aliénation mentale et de troubles psychique. Comméléran* consacre sa thèse, en 1902, au sujet "Névroses et paludisme". Des malades, fatigués par un séjour pénible et en proie à de fréquents accès de fièvre, présentent des périodes d’irritabilité suivies de phases d’apathie. L’origine paludéenne, d’après les anciens auteurs, se reconnaît au fait que tout rentre dans l’ordre après traitement par la quinine. L’époque moderne, tout en confirmant l’impact de l’hématozoaire du paludisme sur le cerveau ne retient plus la notion de maladie mentale imputable à cette maladie.
L’école psychiatrique du Pharo étudiant systématiquement l’influence psychiatrique des différentes maladies tropicales retient l’encéphalite chronique de la trypanosomiase. Dans la seconde période de la maladie, bien étudiée par Gallais*, les troubles psychiques manquent rarement. Simple modification du caractère au début, le sujet jovial devient taciturne et apathique ou inversement. En quelques mois, en dehors d’une somnolence anormale, l’état mental se détériore. Des fugues ou des actes délictueux peuvent survenir et conduire le malade en prison. Il n’est pas rare, en Afrique, au cours de vérifications systématiques, de déceler dans les quartiers d’aliénés, un ou deux trypanosomés méconnus … et curables par le traitement spécifique, si leur état n’est pas trop avancé.
LES TROUBLES PSYCHIATRIQUES CHEZ LES EUROPÉENS SOUS LES TROPIQUES
Après une carrière coloniale, Alexandre Le Dantec*, devenu professeur de médecine à Bordeaux, reste, en 1927, convaincu d’une "action lente de la chaleur sur le système nerveux". Le soleil, selon lui, "exalte les idées". Il rapporte le cas d’un officier commissaire des colonies devenu aliéné une première fois à Saigon. Renvoyé en France, il redevient sain d’esprit. Il repart pour la Guyane... nouvel accès de folie... retour en France où il guérit mais est déclaré "inapte au service dans les pays chauds".
Les sujets prédisposés ou fragiles sont susceptibles de développer des états caractériels, surtout s’ils sont célibataires et affectés dans des postes isolés, sous de fortes chaleurs provoquant des nuits d’insomnie. Ces états sont compatibles, vaille que vaille, avec la poursuite des activités professionnelles... dans l’attente du changement d’affectation souhaité ou de la fin du séjour.
Au Soudan, sévit la forme la plus typique et la plus répandue : la "soudanite". Mais dans le sud Algérien, on observe aussi la "biskrite" (à Biskra), etc…
– Tout est calme dans le poste où vivent, sans distractions, deux ou trois Européens. Puis, un jour, brutalement, la dispute éclate avec une violence inouïe. Le moindre fait futile renforce les haines et peut provoquer un duel. "L’homme s’est transformé en tigre" dit Le Dantec*.
– A l’opposé de cette forme, la "neurasthénie tropicale" s’observe chez d’autres. N’ayant plus goût ni à la marche, ni au travail, étendu sur sa chaise longue, l’homme perd l’appétit mais aussi le sommeil. Physique ou intellectuel, tout effort lui est impossible. "Désespéré", il lutte contre des idées de suicide. Puis la saison chaude finit, les alizés reviennent ou le séjour s’achève et tout rentre dans l’ordre.
Entre temps de regrettables habitudes peuvent avoir été prises. L’alcoolisme colonial n’est pas qu’une légende. Et cette dépendance ne connait pas de répit au retour en France !
En fait, à partir des années 1930, ces troubles caractériels deviennent exceptionnels lorsque s’améliorent les conditions de vie.
LES COMPORTEMENTS "INCOMPRIS" DES POPULATIONS AUTOCHTONES - LES DÉSORDRES ETHNIQUES
Les médecins mais aussi les explorateurs ont été frappés par certains comportements stéréotypés des indigènes, "anormaux", du moins à leurs yeux. Ces "folies de sauvages" sont aujourd’hui appelées "désordres ethniques" ou encore "maladies mentales à spécificité culturelle". Ces troubles sont spécifiques de chaque société. P. Giudicelli* les qualifie "d’hommage rendu par la Folie à la Culture".
A Madagascar, on observe sous le nom de "Ménabé" ou "Velonandrano", des crises collectives que Le Dantec* rattache à l’hystérie. Des groupes de 50 à 100 personnes se livrent à des danses les plus échevelées et les plus incohérentes. La contagion peut gagner le village entier. "Les sorciers combattent le Ménabé par des roulements de tambour et diverses espèces de jongleries". Les individus sujets à ces paroxysmes sont redoutés ; personne n’ose les arrêter ni "empêcher la propagation du mal".
Au titre des "désordres ethniques", on peut encore citer le "Tromba" des Malgaches et le banal "Fiu" des Tahitiens. Ces bizzareries, pour pittoresques qu’elles soient, cadrent mal avec l’actuelle nomenclature psychiatrique des Occidentaux.
LES TROUBLES PSYCHIATRIQUES DES POPULATIONS AUTOCHTONES
Se proposant, pour identifier le trouble mental, de quantifier l’écart avec une hypothétique normalité, l’idée est lancée de définir la "mentalité indigène". La France confie cette étude à deux éminents chirurgiens coloniaux, anthropologues de surcroît, Huard* et Pales*.
– En Indochine, l’étude des groupements ethniques est activement menée par l’école anthropologique de Hanoi, sous la direction de P.Huard*. De son côté, Dorolle* consacre plusieurs travaux aux déficiences mentales et à la mentalité annamite. Il en est de même avec Ségalen en Chine.
Pour résoudre l’énigme qu’est tout malade mental, Aubin* est le premier français à conceptualiser l’importance de la culture en psychiatrie. Sa carrière coloniale l’a conduit en Inde et en Afrique. Son oeuvre maîtresse, "L’homme et la magie", publiée en 1952, est un classique de l’ethnopsychiatrie française. Sous sa direction, naît l’école psychiatrique du Pharo qui rénove la nomenclature des affections mentales des indigènes. Vaste entreprise dont nous ne pouvons mentionner que quelques exemples :
– La schizophrénie, maladie typique de la psychiatrie occidentale, n’est évidente outre-mer que dans ses formes extrêmes alors que les bouffées délirantes dites polymorphes, brèves et réversibles, sont très fréquentes chez le Noir.
– La manie aiguë, avec son agitation spectaculaire et ses bruyantes vociférations a été la première, voire la seule forme d’atteinte psychiatrique aliénant le patient, c’est à dire l’éloignant de sa famille et de son village et le faisant présenter à l’hôpital des "Blancs".
– Les crises collectives, les rituels de possession comme les transes vaudou conservent un caractère énigmatique : leur nature pathologique (hystérique pour l’Occidental) n’est pas démontrée. Ils correspondent à des conduites que le groupe d’appartenance considère comme normales et souvent même salutaires.
– Il en est de même pour la délinquance : elle n’existe pas en milieu tribal et, si, à Madagascar, la tribu des Bara vole des boeufs, il ne s’agit que d’obéissance à un impératif initiatique.
L’ORGANISATION DE L’ASSISTANCE PSYCHIATRIQUE DANS L’EMPIRE FRANÇAIS
Les pouvoirs publics français se préoccupent de bonne heure d’une assistance psychiatrique.
Les deux premiers asiles sont créés en 1832 à Saint Claude, en Guadeloupe, puis en 1872 à Saint Paul à La Réunion. A la Martinique, la maison fondée à la fin du XIX° siècle est détruite en 1902 par l’éruption de la Montagne Pelée. A Madagascar, dès 1902, est construit l’hôpital de Fenoariva, puis d’Itasy.
En 1912, à Tunis, au Congrès des aliénistes, l’organisation de l’assistance psychiatrique aux territoires d’outre-mer fait l’objet d’un vœu qui comporte notamment :
– la formation de psychiatres coloniaux militaires et civils,
– la construction de locaux et établissements constituant un réseau d’assistance psychiatrique,
– la cessation complète du transport des aliénés indigènes dans les asiles de France.
La Première Guerre mondiale interrompt ces efforts. Par la suite, bien que disparates, les premières réalisations se développent.
Dans les années 1930, le dispositif des formations psychiatriques dans l’empire est le suivant :
– En Indochine, trois hôpitaux psychiatriques : Cochinchine (700 malades), Tonkin et Cambodge.
– A Madagascar, l’asile de Anjanamasina, créé en 1913, non loin de Tananarive.
– En AOF, aucun hôpital psychiatrique mais trois annexes d’hôpital : l’une à Saint Louis, deux à Dakar dont l’ambulance du Cap Manuel, dépendant de l’hôpital Principal.
– L’AEF ne dispose d’aucune formation spécialisée. Un certain nombre de sommeilleux sont suivis dans les hypnoseries pour des troubles mentaux.
– Dans les îles lointaines, on retrouve les asiles-déjà mentionnés- de Guadeloupe et de La Réunion. En Nouvelle-Calédonie, un vestige de l’ administration pénitentiaire abrite 16 malades.
En 1938, le congrès des aliénistes se tient à Alger. Le rapporteur est Aubin*. Il définit les nouvelles bases de l’assistance psychiatrique indigène (API). Il parle d’hygiène mentale et de prophylaxie et propose deux échelons : celui de la colonie et celui de la fédération. Pour l’AOF, un grand hôpital psychiatrique est prévu à Thiès au Sénégal. Il ne verra jamais le jour… Comme après le congrès de Tunis, un conflit armé mondial vient annihiler ces projets.
COLLOMB ET L’ÉCOLE DE FANN
En 1958, Collomb* (1913-1979) arrive à Dakar comme premier titulaire de la chaire nouvelle de neuropsychiatrie de la faculté de médecine. Sa carrière coloniale lui a déjà fait connaître la Somalie, l’Éthiopie et l’Indochine. Il vient de quitter la chaire correspondante du Pharo.
Son service se situe dans le nouvel hôpital de Fann. Il s’entoure rapidement de collaborateurs souvent renouvelés venus d’horizons variés : des psychiatres mais aussi des psychologues, sociologues et ethnologues, européens et africains. Parmi ces derniers, il compte des médecins et des infirmiers formés à l’occidentale, mais aussi des guérisseurs, des plus humbles aux plus réputés. Il dit avoir beaucoup appris d’eux par une simple fréquentation, "sans questions directes à la façon des enquêteurs".
Collomb tient aussi à rencontrer, dans leur milieu, guérisseurs et malades. C’est lui qui va volontiers vers eux. Avec des moyens modernes ! Aux commandes de son avion personnel, il sillonne le ciel de l’Ouest africain. Le "psychiatre volant", ce Blanc, venant et repartant dans les airs ! Quel symbole saisissant et valorisant pour le guérisseur noir du village ou du quartier, objet de son déplacement !
Dans le monde universitaire, il fonde revues, sociétés savantes, cycles de spécialisation. La notoriété de l’école de psychiatrie de Fann dépasse l’Afrique noire et la France. En 1978, cédant son poste à un de ses élèves africains, Collomb revient en France et sera nommé à la faculté de médecine de Nice. Il meurt l’année suivante.
LA DOCTRINE
Dès sa leçon magistrale au Pharo, en 1955, Collomb précise que son champ d’études est essentiellement l’Afrique noire, "pour des raisons d’expérience et de documentation".
Pour le Noir africain, la vision occidentale de l’homme total apparaît réductrice. Au dualisme corps-esprit ou psycho-somatique, l’Africain substitue le quadruple complexe "théo-socio-psycho-somatique", selon les termes de l’ethnosociologue béninois, le Père Daï. Les cultures africaines dont s’inspire le guérisseur font intervenir, en plus, l’âme et la religion d’une part, l’appartenance au groupe d’autre part.
D’abord, la religion imprègne tout. "L’Africain est toujours religieux" dit l’érudit malien Amadou Hampaté Ba. Il doit donc vivre en paix avec des êtres qui lui sont supérieurs : d’une part Dieu et/ou les divinités animistes, d’autre part les esprits, créatures invisibles, les "rab" chez les Ouolofs du Sénégal. Ils tiennent l’homme à leur merci.
Ensuite, l’individu traditionnel ne peut être étudié et ne se pense lui même que par rapport à son groupe (famille, tribu, clan, ethnie…). "En Afrique, il n’y a que des groupes" dit Collomb. Le groupe entoure et protège chacun mais attend de lui un type uniforme de pensée et de comportement. "Le moi de l’Africain est un moi collectif" dit un aphorisme. Vulnérable est l’individu qui l’oublie.
Comme le souligne Aubin*, à la différence de l’esprit dit scientifique, "il existe, pour la "pensée magique", une finalité foncière de la nature : rien n’arrive jamais qui soit entièrement fortuit". On dit encore : "l’Africain ne croit pas au hasard". Dans la mentalité magique, s’intègre l’animisme, religion culturelle africaine, dans laquelle "tout a une âme". C’est aussi l’ensemble des rites, tabous et conduites symboliques que l’on croit susceptibles d’agir efficacement sur les êtres et les choses, dans l’ordre du "Mana". Ce terme océanien cher aux éthnologues désigne une "force primordiale radicalement distincte de toute force naturelle" (P. Giudicelli*).
A titre de réciprocité, la fréquentation de ces "magiciens" que sont les guérisseurs africains nous rappelle, selon Collomb, que la médecine est un humanisme. Chez le Noir, "elle véhicule des valeurs que l’Occident ne reconnait plus" (1976).
Considérons, à titre d’exemple, un temps primordial de l’acte médical : le diagnostic. Le psychiatre européen (ou africain formé à l’européenne) se satisfait d’identifier les signes et la variété (le "comment") de la maladie : une schizophrénie, une dépression, un accès maniaque… A l’opposé, peu importe au guérisseur que le patient ait des angoisses ou des hallucinations, son diagnostic doit identifier le "pourquoi" ainsi que l’agresseur : un sorcier ? un "rab" ? et résoudre deux questions :
– comment mettre fin à cette agression (et lui faire lâcher sa proie) ?
– comment restaurer la place de l’individu malade dans son groupe ?
Ces considérations séparent radicalement les modèles occidentaux où le fou est écarté des autres, "aliéné" et les modèles africains qui visent à combler l’espace séparant le fou des autres et à lui faire retrouver sa place dans la société.
L’APPLICATION DE LA DOCTRINE DANS LE DOMAINE THÉRAPEUTIQUE
Collomb à Dakar stigmatise la vieille opposition science/superstition et se met en rupture avec la mentalité coloniale étriquée selon laquelle "le Blanc a tout à enseigner et rien à apprendre". "Il faut se rendre à l’évidence, dit-il en 1977, et constater qu’actuellement le guérisseur a plus de succès dans le traitement des maladies mentales... La position s’inverse, c’est le psychiatre qui est à l’écoute du guérisseur ; il n’enseigne plus, il apprend". Du coup, l’éthno-psychiatrie, science spéculative ou cognitive va acquérir une composante thérapeutique, pragmatique et spécifique, de la société en question.
Le génie de Collomb, après avoir fait et affiché ce constat, est de mettre sur pied la collaboration entre psychiatrie européenne et tradi-psychiatrie africaine. Ce syncrétisme est apprécié des patients car, pour le Noir, "A l’hôpital on calme mais, seul, le tradi-praticien guérit".
Au moment où Collomb arrive à Dakar, les premiers essais dans ce domaine viennent d’être réalisés par T.A. Lambo, professeur de psychiatrie formé en Grande Bretagne. De retour dans son pays, le Nigeria, il vient de fonder à Abeokuta le premier "village thérapeutique" cherchant à mettre en adéquation le psychiatrie moderne et la psycho-sociologie africaine. Les deux collègues s’apprécient mutuellement et engagent une fructueuse collaboration.
Dans son service de l’hôpital de Fann, finies les visites et les prescriptions médicamenteuses du patron, de chambre à chambre. Les deux innovations maîtresses sont l’intervention du guérisseur, plus officiant religieux que thérapeute et le rôle prégnant des familles
Une fois par semaine, dans la cour ombragée du service, c’est le rendez-vous général, le "Pintch", sorte de reconstitution de la palabre du village africain. Tous les malades et leurs parents sont présents ; l’un des malades est, sur place, élu chef de séance ; les débats et échanges ont lieu comme au village et en langue vernaculaire. Les médecins et le personnel sont de simples participants comme les autres. Le guérisseur opère et intervient autant auprès des malades que des familles. Des femmes apprêtent le repas qui sera consommé en commun. A l’occasion, des séances de danses traditionnelles sont rythmées par le tam-tam.
Ainsi traité par le groupe et dans le groupe, avec l’appoint éventuel de médicaments occidentaux, le malade mental, après un délai plus ou moins long, achève sa convalescence dans sa famille.
L’APPLICATION DE LA DOCTRINE DANS LE DOMAINE INSTITUTIONNEL
Sur le plan de l’assistance psychiatrique, l’implantation des asiles et hôpitaux psychiatriques est remise en question. A Thiaroye, à proximité de Dakar, en 1958, un asile de 200 places est prévu. Après la construction de la première tranche de 80 lits, le projet prend fin, sans doute sur les conseils de Collomb.
La nouvelle formule est le village thérapeutique. Les malades y sont admis avec leurs familles et travaillent aux champs. Des guérisseurs y exercent aux côtés d’infirmiers ; des psychiatres formés à l’occidentale viennent périodiquement. Ces réalisations fonctionnent sur un mode voisin des villages affectés aux sommeilleux et aux lépreux.
Presque tous les psychiatres francophones de l’Afrique occidentale sont des élèves ou des adeptes de l’école de Fann. Ils sont tout à fait acquis à ces méthodes. Mais, pour des raisons budgétaires, seuls, certains ont pu les mettre en application.