Ici, un adulte s’avance, la main sur l’épaule d’un enfant qui le guide. Là, des mouches sont agglutinées sur les yeux d’un bébé endormi dont les paupières sont croûteuses. Deux scènes fréquemment rencontrées en régions tropicales, au moins pendant la première moitié du XX° siècle.
Les maladies oculaires sont un véritable fléau dans ces pays où, dans les années 1950, le taux moyen de cécités est dix fois plus élevé qu’en Europe (7 pour mille contre 7 pour dix mille habitants). Encore ne s’agit-il que de moyennes, certaines régions rurales d’Afrique noire allant jusqu’à 50 pour mille. Les enfants ne sont pas épargnés : 16 % des aveugles du Cameroun sont des enfants.
Les trois causes principales de cécité sous les tropiques sont le trachome, l’onchocercose et la cataracte. Seules, les deux premières sont spécifiques des zones tropicales. Mais, d’autres maladies endémiques de ces régions peuvent aussi atteindre l’oeil : la lèpre, certaines parasitoses, des affections nutritionnelles, etc. En outre, trop souvent, des atteintes oculaires banales en Europe se compliquent au point d’aboutir à la cécité. Les causes en sont le déficit d’eau, l’absence d’hygiène et le manque de soins. C’est le cas des conjonctivites dites épidémiques. En Afrique noire, la rougeole, dans les années 1960, est responsable du tiers des cécités de l’enfant ; les infections génitales maternelles contaminent le nouveau-né, les carences en vitamine A provoquent une sécheresse de la cornée et une baisse de la vision noctune…
Longtemps, comme ailleurs dans le monde, l’intervention médicale dans les colonies françaises est limitée aux collyres antiseptiques et aux pommades ophtalmiques. Il s’agit de gestes curatifs individuels simples relevant de la polyvalence des personnels de l’AMI. Dans les écoles et les collectivités médicalisées, le dépistage des maladies oculaires est plus précoce et les troubles de l’acuité visuelle peuvent être corrigés par des verres délivrés gratuitement. Sur le plan chirurgical, les cataractes étaient opérées avec succés dès 1890 (Clarac*).
Les deux premiers instituts ophtalmologiques coloniaux sont créés en Indochine : à Hanoi en 1913 et à Hué en 1920. Le second porte le nom d’institut Albert Sarraut. Destinés tout particulièrement à la lutte contre le trachome, ces établissements traitent toutes les affections oculaires. Les patients peuvent y être hospitalisés et subir les interventions chirurgicales nécessaires.
Peu à peu, l’organisation des campagnes de masse conduit à dépister et traiter les endémies causes de cécités. Il arrive malheureusement que des médicaments mal utilisés soient eux-mêmes à l’origine de cécités, comme le surdosage d’arsenicaux dans le traitement de la maladie du sommeil.
Après 1950, avec l’apparition des spécialités médicales, les premiers ophtalmologistes du Corps de santé colonial exercent dans les hôpitaux et un organisme de recherche et d’enseignement est créé à Bamako, l’Institut d’ophtalmologie tropicale appliquée IOTA où les personnels médicaux des grandes endémies reçoivent une formation complémentaire. De là partent les groupes mobiles d’ophtalmologie qui vont au devant des populations et jouent un si grand rôle dans la lutte contre l’onchocercose.
Les maladies oculaires préoccupantes du début du XX° siècle ont régressé, mais actuellement émerge une pathologie oculaire cosmopolite aussi fréquente qu’ailleurs : glaucome, rétinopathies, névrites optiques, troubles divers de la vision, etc.
Pour en savoir plus :
– Védy J. Graveline J. : Précis d’ophtalmologie tropicale. Diffusion de librairie Edit. 2° édit. Marseille 1988.