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Mari transve mare, hominibus semper prodesse

Site de l’Association Amicale Santé Navale et d’Outre Mer (ASNOM)

LES MEDECINS DE LA MARINE AUX COLONIES
Article mis en ligne le 12 janvier 2024
dernière modification le 15 février 2024

LES MEDECINS DE LA MARINE AUX COLONIES AU XIX SIECLE

Les officiers de santé de la marine servaient aussi aux colonies. En 1823, on avait même assisté à une fusion du Corps de santé des ports avec celui des colonies créé sous le Consulat.

Pour fixer les idées, en 1835 on comptait 389 officiers de santé dont 80 servaient aux colonies, soit 20%. Ce n’est qu’en 1890 que sera constitué un Corps de santé des colonies, indépendant de celui de la marine, tandis qu’était fondée à Bordeaux l’Ecole principale du Service de santé de la marine et des colonies, les Ecoles de Brest, Rochefort et Toulon devenant des Ecoles annexes destinées à préparer au concours d’entrée à l’Ecole principale.

Sous le règne de Napoléon III, la marine française va se doter peu à peu de la vapeur comme moyen de propulsion. Cette révolution va changer le type des interventions qui vont dès lors se limiter à des secteurs géographiques plus circonscrits. C’est la grande période des stations navales constituées chacune de quelques petits navires de guerre disposés dans des régions d’intérêt stratégique dans le but d’assurer la représentation nationale, de protéger les ressortissants et de favoriser les activités de commerce mais elles apporteront aussi un soutien militaire et une aide logistique lors des opérations coloniales.

Les médecins de la marine affectés dans ces stations navales étaient généralement embarqués sur le plus gros des bâtiments de la flottille mais bien souvent ils demeuraient à terre à la base opérationnelle du groupe où ils assuraient le service de l’infirmerie, à moins de prendre passage de façon sporadique et alternée sur une petite unité pour assurer une surveillance sanitaire et morale de l’équipage. A terre, par tradition et par goût, ils effectuaient des collectes d’objets d’histoire naturelle pour le Muséum ou procédaient à des observations scientifiques et ethnographiques qu’ils consignaient dans des notes ou dans les rapports de fin de campagne.

Certaines stations navales comptaient des navires-hôpitaux, comme celles du Congo et du Gabon. Dans ces régions tropicales, la santé était en effet soumise à dure épreuve. Les conditions climatiques difficiles, l’alimentation déséquilibrée ou carencée mais surtout les maladies étaient la source de tous les dangers. Paludisme et fièvre jaune firent d’énormes ravages, sans parler de la dysenterie, de la typhoïde ou du choléra, voire de la peste ou du typhus. Les médecins de marine payèrent eux-mêmes un lourd tribut aux épidémies.

D’autres médecins pouvaient exercer leurs fonctions dans des ports ou des établissements côtiers comme dans le golfe de Guinée. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, beaucoup furent affectés directement dans les postes militaires fondés à l’intérieur du pays pour sécuriser les voies de pénétration. Ils y assuraient les soins de la troupe mais aussi ceux des populations indigènes alentour et réalisaient des campagnes de vaccination (variole) au cours d’inspections sanitaires en brousse. Dans les centres, ils créèrent des infirmeries ou des hôpitaux et montèrent des laboratoires.

DÉCOUVERTES ET PARTICIPATIONS AUX PROGRÈS DE LA MÉDECINE

Les découvertes fondamentales de Louis Pasteur (1822-1895) entre 1870 et 1886, en révélant la nature microbienne de nombreuses maladies infectieuses, vont rapidement déboucher sur les notions d’immunité et de vaccination. Ainsi le vaccin contre la rage sera mis au point en 1885 mais on rappellera ici que la vaccination jennérienne avait été adoptée dans la marine dès 1817. L’identification des agents pathogènes de la plupart des maladies infectieuses à partir de 1870 va déjà permettre la prise de mesures prophylactiques ou d’isolement et surtout d’hygiène.

L’asepsie physique, instaurée vers les années 1880-1890, révolutionne médecine et chirurgie. Vers 1900, les hôpitaux de la marine sont déjà pourvus d’un bloc opératoire aseptique. Le développement de l’anesthésie va aussi permettre d’élargir le champ des indications chirurgicales, en particulier dans le domaine viscéral. En 1844, on découvre l’anesthésie au protoxyde d’azote. En 1846, on met au point celle à éther et en 1847 celle au chloroforme. Charles Duplouy défendra en 1883 la technique de l’anesthésie au chloroforme qu’il utilisait depuis déjà 20 ans, celle du "foudroiement après accoutumance", administrée à l’aide d’un cornet, ensuite avec le masque d’Ombrédanne.

Les chirurgiens de la marine Duplouy, Auffret et Bérenger-Féraud furent de grands chirurgiens orthopédistes. Ce dernier développa la pratique de la contention directe des fragments osseux d’un foyer de fracture afin de "réveiller l’ostéogenèse". Il s’avéra ainsi un chirurgien conservateur alors qu’au XVIIIe siècle on effectuait surtout des amputations.

Dans le domaine médical, Amédée Lefèvre (1798-1869) découvrit la nature des "coliques sèches" qui sévissaient dans la marine. Il eut le mérite d’établir la corrélation entre cette pathologie et la présence omniprésente de plomb à bord des vaisseaux de construction récente. Cette réalité - qu’il fallut faire admettre à l’état-major et aux constructeurs - permit l’éradication définitive du saturnisme dans la marine.

Albert Calmette (1863-1933), médecin de marine puis des colonies, fondateur de l’Institut Pasteur de Saïgon, travailla à l’amélioration du vaccin contre la rage et mit au point en 1921 avec Guérin le célèbre BCG.

Parmi les découvertes majeures, on citera celle des rayons X par Röntgen en 1895 - technique aussitôt appliquée dans la marine - et celle du radium en 1898. Ce sont d’ailleurs les pharmaciens de la marine qui comme "scientifiques" furent chargés des toutes nouvelles installations radiologiques. A ce propos, on saluera la découverte en 1906 par le médecin de la marine Tribondeau (1872-1918), avec Bergonié, de la sensibilité élective des tissus embryonnaires et tumoraux aux rayonnements qui aura les applications capitales que l’on sait.

Mais c’est sans doute dans le domaine de la pathologie tropicale que l’apport des médecins de marine fut le plus significatif. Le paludisme - dû au Plasmodium, découvert par Laveran en 1880 - fut étudié par de nombreux médecins de la marine dont Thévenot (1801-1841) auteur en 1840 d’un Traité des maladies des Européens dans les pays chauds et Griffon du Bellay (1829-1908) qui au cours de son affectation au Gabon de 1861 à 1863 prescrivit largement le sulfate de quinine, d’ailleurs utilisé dans les hôpitaux de la marine depuis 1825.

La fièvre jaune, ce grand fléau des tropiques, du au virus amaril, fut étudiée dans la marine dès 1807 par Repey qui défendait la thèse de la non-contagion mais surtout par Maher lors des épidémies de la Havane de 1837 et de Sacrificios (dans le golfe du Mexique) en 1838. Celui-ci individualisa alors une forme clinique pernicieuse intermittente qu’il traita avec succès par le sulfate de quinine, comme le paludisme. Dutroulau (1808-1872) décrit les diverses aspects cliniques précisant parfaitement la phase rouge d’invasion et la période d’état réellement jaune

L’agent pathogène du typhus exanthématique est découvert par Ricketts en 1910 mais c’est Charles Nicolle (1866-1936) qui démontre le rôle du pou du corps dans sa transmission.

Le bacille de la peste est trouvé en 1894 par Yersin (1863-1943) venu en Indochine comme médecin de la marine marchande. Le médecin colonial P.-L. Simond (1858-1947) prouve en 1898 que la peste est transmise par la puce du rat. Girard, médecin colonial, directeur de l’Institut Pasteur de Tananarive à Madagascar met au point, en 1932, un vaccin contre la peste qui sévissait dans la grande île.

Vingt ans avant l’identification de Entamoeba hystolytica , agent de l’amibiase par Lambl en 1859, le médecin de marine Alexandre Ségond (1799-1841) traitait la dysenterie à Cayenne avec succès par des pilules associant ipéca et extrait d’opium. Viendront ensuite les remarquables descriptions des lésions anatomiques par le médecin de marine Dutroulau dans son Traité des maladies des pays chauds publié en 1861 puis les travaux de Delioux de Savignac (1812-1876), autre médecin de marine, qui le premier mentionne en 1863 dans son Traité de la dysenterie le caractère contagieux de l’affection par les déjections et la présence de l’amibe dans le sang des selles par effraction de la muqueuse. Il affirme alors que "l’émétine était à la dysenterie endémique ce que la quinine était au paludisme".

Lalluyaux d’Ormay (1824-1878) médecin de marine identifie la "diarrhée de Cochinchine", maintenant dénommée sprue tropicale, qui est un syndrome de malabsorption.

Les filarioses, dues à différentes espèces de nématodes, font l’objet de nombreux travaux : filairiose de Bancroft, loase, onchocercose, filairiose de Médine ou dracunculose. Cette dernière fut étudiée en détail par le médecin de la marine Bartet dans son ouvrage : Le Dragonneau, ver de Guinée, filaire de Médine, publié en 1909.

Emile Marchoux (1862-1943), figure emblématique du Corps, médecin de marine puis médecin colonial, mene comme chef du service de microbiologie tropicale de l’Institut Pasteur d’importants travaux sur la lèpre (bacille découvert par Hansen en 1871) et le paludisme. Membre de l’Académie de médecine, il est élu président de l’Association internationale de la lèpre et président de la Société de pathologie exotique.

Au cours de ce siècle, la médecine fait un bond prodigieux et on a pu dire que la médecine du XXe siècle avait recueilli les fruits magnifiques issus des graines du XIXe. Les médecins de la marine - on l’a vu - prirent une part active et significative dans ce progrès. Pionniers en matière de médecine tropicale, ils firent connaître cette discipline par leurs travaux et leurs publications. Sait-on que dès 1863, le médecin en chef de la marine Beaujan (1821-1867) fonda l’Ecole de médecine de Pondichéry ?

LES EXPLORATEURS

Cette période est celle de très nombreuses explorations de "terres vierges". Les explorateurs ne sont pas toujours affectés comme tels dans les colonies. C’est généralement sur place qu’ils sont remarqués et choisis par l’autorité militaire ou administrative du fait de leur aptitude particulière, de leur endurance ou de leur motivation pour être intégrés dans les missions d’exploration. Ils sont alors aussitôt sollicités par le Muséum d’histoire naturelle, le Ministère de l’Instruction Publique ou encore la Société de géographie pour des recherches. Différentes explorations sont réalisées par des officiers de santé de la marine, médecins ou pharmaciens.

En Afrique, Touchard explore la rivière du Gabon en 1860 - Griffon du Bellay, avec le lieutenant de vaisseau Serval, remonte l’Ogooué en 1862 - Quintin est associé à Mage dans une mission au Niger (1863-1866) diligentée par Faidherbe - Bayol est lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud (Guinée) en 1883 - Ballay descend le fleuve Congo en partant de son affluent l’Alima en compagnie de Savorgnan de Brazza en 1883 avant de devenir lieutenant-gouverneur de la Guinée en 1889 puis gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française en 1900 - le pharmacien Liotard, lieutenant-gouverneur du Haut-Oubangui en 1894, initiateur de la mission Liotard-Marchand vers le Nil, devient ensuite gouverneur du Dahomey, de la Nouvelle-Calédonie et de la Guinée - Cureau est lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo en 1906 - Emily, médecin de la mission Marchand, est directeur du Service de santé de l’armée coloniale en 1824 - Bartet assume une délicate mission au Dahomey en 1897.

En Indochine Joubert et Thorel, font partie de la Mission scientifique du Mékong dirigée par Doudart de Lagrée (1866-1867) - Harmand, réalise cinq grands voyages d’exploration au Cambodge de 1875 à 1877 avant de devenir diplomate à partir de 1881 et ministre de France au Japon de 1894 à 1905 - Morice, ethnologue distingué, séjourne en Cochinchine à deux reprises en 1872-1874 et 1876-1877 - tandis que Néis explore le Laos en 1883.

En nouvelle Calédonie, les chirurgiens Vieillard et Deplanche font part de leur expérience sur place dans leur Essai sur la Nouvelle-Calédonie publié en 1863. Il s’agit d’une remarquable étude d’ensemble de la colonie sous ses différents aspects, en particulier dans le domaine botanique.

En Océanie, on trouve Cuzent, botaniste et chroniqueur des mœurs polynésiennes - Lavigerie, ichtyologue mais aussi ministère public dans les tribunaux - et Viaud, le frère de Pierre Loti, premier photographe de Tahiti.

En Amérique du sud, on retient Le Prieur, naturaliste en Guyane où il fit trois séjours entre 1830 et 1849, mais surtout le chirurgien de 1re classe Crevaux, auteur de quatre fabuleux voyages d’exploration en Guyane et en Amazonie, tué en 1882 à l’âge de 35 ans en Bolivie par les indiens Tobas, et le pharmacien Lejanne qui l’accompagna dans son troisième voyage (sur l’Orénoque).

On peut ajouter à cette liste, non exhaustive, la Mission scientifique du Cap Horn destinée à procéder en Antarctique à toute une série d’observations scientifiques. Accomplie sur la Romanche en 1882-1883 avec les médecins de la marine Hyades et Hahn, cette riche campagne quant aux résultats fit l’objet d’un ouvrage collectif en 7 volumes, sous la direction de Hyades qui rédigea lui-même les tomes IV et VII sur la géologie et l’ethnographie

Ce bref aperçu révèle les multiples activités, médicales et extra-médicales, des officiers de santé de la marine outre-mer à cette époque. Leurs missions d’exploration, entre autres, leur conférèrent alors un immense prestige.